La petite reine est devenue une vieille dame



Faire du vélo dans les Cantons de l’est, c’est aller d’un vallon à l’autre en empruntant des routes offrant à voir des merveilles de nature verte et de vieilles fermes. Depuis plusieurs années, tout un chacun sait que dans le ventre de certaines des vétustes constructions en bois typiques de la région se cachent des trésors d’antiquités. Ici, une commode faite d’érable, finement ciselée et assemblée à la main par un artisan qui ne devait rien connaître au travail à la chaine. Là, c’est plutôt les boiseries massives d’un escalier intérieur qui méritent le titre d’œuvre unique.


En prenant quelques jours de vacances à la superbe demeure de Way’s Mills de mes copains Pat et Nadia, je savais que je tomberais sur quelques-unes de ces vieilles choses élégantes qu’ils ont récupérées et valorisées. Je savais aussi que je trouverais un grand œuvre d’une toute autre nature. Importé d’Italie au siècle précédent, et fait d’un acier aux propriétés magiques, il s’agit d’un vélo comme il y en a eu que très peu au Canada et encore moins au Québec : un authentique et magnifique Colnago Master Olympic. Quand je regarde cette monture aujourd’hui, je suis frappé par son allure gracile, sa délicatesse et le confort qu’elle suggère. J’en oublie qu’en son temps, un Colnago Master Olympic était une bête féroce toujours prête au combat –sur tous les terrains, dans toutes les conditions.

Il a été fabriqué au début des années 90 durant la courte période où il a été produit –Colnago l’a rapidement renommé le Master Light. Le début des année 90 est l’âge d’or d’une certaine culture de ce que doit être un bon vélo, une époque où personne ne se souciait du ratio poids/rigidité de son vélo et où le décalque de la prestigieuse maison Columbus suffisait à faire l’étalage de la valeur technologique des tubes qui composaient un cadre.


Le décalque Columbus est bel et bien présent exactement là où la tradition veut qu’il soit sur le cadre, mais on y note la mention Gilco Design. Propre à la maison Colnago, cette signature, celle d’une firme de design qui avait travaillé dans le passé avec Ferrari, Maserati et Alfa Romeo, est une de ces ultimes distinctions dont Ernesto Colnago avait le secret. D’autres fabricants utilisaient les tubes nobles produits par la maison Columbus, mais aucun autre ne faisait appel au savoir mystique de l’industrie italienne de l’automobile!

Cela dit, la vraie distinction, la vraie différence tant voulue et recherchée par les experts, ne se trouve pas vraiment en ces tubes. Non, elle réside plutôt sur les tubes et à chacune de leurs jonctions. En cette époque révolue, la valeur d’un cadre s’évaluait avec une loupe et un regard d’amateur d’art et non pas à la lecture du verbiage à saveur de vulgarisation scientifique déployé par les pompeux départements de R&D –lire ici marketing- d’entreprises à la recherche de plus grandes parts de marché.

Que recherchent les amateurs d’art sur un Colnago qu’ils ne trouveraient pas ailleurs? D’abord, le célèbre emblème de la marque, le trèfle noir, est pas moins de 16 fois présent sur le cadre du Master : 9 fois (oui 9 fois!) engravé et peint à 7 autres endroits.



Ensuite le chrome brule le regard de l’observateur. Les artisans italiens l’ont utilisé sur la fourche droite (une innovation signée Colnago), sur les raccords de la douille de direction ainsi que pour le triangle arrière. À la manière d’un défi lancé aux autres fabricants, partout ce chrome n’a qu’une fonction: démontrer la précision du travail de finition ! Finalement, combien de colories différents ornent ce cadre? Du riche violet au orange et au jaune (fluo !), en passant par le bleu quasi-royal et le vert végétal, on ne compte plus les passages successifs dans le four qui ont été nécessaires pour réaliser cette œuvre s’inscrivant dans la belle tradition du design italien d’après-guerre.



Certains diront que je suis un vieux romantique. Ils n’auraient pas tort, du moins tant qu’il est question de vélo. Mais la raison n’est pas exempte de mon analyse puisque les Colnago ont toujours allié la performance à l’élégance. Depuis Merckx, certains des plus grands champions ont utilisé les vélos de la maison Colnago. La liste serait longue, mais je retiens les noms de Beppe Saronni et ses Del Tongo, de Steve Bauer, d’avant La Vie Claire, de Van Hooydonck, Van Poppel et Nidjam, des Super Confex, puis les coureurs de la dynastie Mapei –Museew, Tafi, Ballerini et Bettini… Il est vrai que ces derniers ne roulaient plus sur le bel acier de Colnago, mais sur des C-40, un des rares cadres de carbone appartenant maintenant à la légende. 

Le carbone justement, ce matériau imprégné de savoirs scientifiques, a complètement reprogrammé l’échelle des valeurs qui permettait de séparer le bon grain de l’ivraie du monde du vélo. Pour cette raison,  une petite reine comme le Master Olympic a aujourd’hui des allures de vieille dame. Celle que j’ai trouvée dans les Cantons de l’est a d’ailleurs souffert les affres du temps. Son chrome, jadis si scintillant, est maintenant tacheté de points de rouille. Son look, tonitruant et multicolore, est altéré par les éclats et les rayures. Que dire des pièces qui l’équipent? S’il y a bien quelques pièces Dura Ace –de Shimano, mais bon…- on doit inscrire nombres de pièces Ultegra et même… des leviers de vitesses RSX et un ensemble potence/guidon (d’origine douteuse).



Reste que le charme du Colnago Master Olympic est toujours visible, surtout si maintenant on l’utilise pour les douces balades du soir, le long du canal. Une vieille dame ne s’inviterait pas au départ d’un critérium au rythme effréné. Ce ne serait plus de son âge, bien que son charme, lui, demeure parfaitement opérant, inaltérable. 











Commentaires

  1. Bel hommage à cette élégante dame Bruno!

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  2. Superbe vélo !!! Les italiens ne sont pas les rois de la mode pour rien ;) Brigitte est très chanceuse !

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