TdF 18 à la myrtille et à la cerise

L’analyse, c’est pas trop mon mandat. Enfin, au travail je ne fais que ça, mais quand je sors du bureau je me donne un break. C’est pareil quand je suis en vacances, comme maintenant. Sauf que durant les vacances je me donne un gros break. Lectures paresseuses, courtes visites touristiques, longs flânages et errances mentales quasi permanentes: c’est bien assez pour m’occuper. Dans cette perspective, écouter les étapes de la première semaine à la télé était une activité adéquate. Étape après étape, il ne se passait rien. Toutes les routes se ressemblaient, tous les châteaux étaient en vieilles pierres et, à part le labeur ingrat de quelques miséreux inconnus qui recevaient le mandat de montrer le maillot dans le day's break, les commentateurs n’avaient pas grand chose à se mettre sous la dent pour alimenter le long direct quotidien qu’ils devaient livrer. Mais ne rien avoir à dire peut être un avantage.

Ça me fait penser à une époque déjà lointaine durant laquelle, au Québec, la couverture du Tour était tricotée par Pierre Foglia. Vous vous en rappelez c’est sûr. Sinon laissez-moi vous aider. Je peux le dire avec une assurance que je ne me reconnais pas au jour le jour : plus les étapes étaient plates, plus les comptes rendus qu’en faisait M. Foglia étaient bons. Rédigés alors qu’il était logé dans une chambre plus ou moins miteuse située à 300 ou 400 km de la course, ses textes racontaient le plus souvent n’importe quoi; bien plus que de la courses, c’est avec les histoires de sa jeunesse, les commérages de sa logeuse et -surtout- les fameuses confitures de myrtilles qu’il remplissait ses colonnes. En le lisant, je me disais : « ça c’est prendre du recul ». Ce matin, le cul confortablement assis à une petite terrasse à l’ombre d’un parasol aux couleurs insolentes, en banlieue de Vancouver et donc à 9000 km de la France, je sens que moi aussi j’ai bien assez de recul pour parler du Tour. Alors, sérieux, et cette première semaine?

Je ne vais quand même pas sortir les mêmes cassettes que les vrais commentateurs. J’ai plus de liberté. On va faire ça simple et efficace. 

1) Chute au peloton! Ça, c’était l’excitation totale quand Radio-Tour faisait cette annonce. Il y en a eu du pettage de gueule. À chaque rond-point, à chaque rétrécissement de la route, à chaque entrée de village la chute guettait. Un peu toutes les équipes ont payé de leur peau. C’est pas mêlant, c’était aussi dangereux que d’aller travailler à vélo à Montréal. Je ne veux pas diminuer les risques que prennent les coureurs, mais il faut bien le dire, à Montréal on a l’habitude du danger parce qu’on roule sur des routes de merde toutes rapiécées et défoncées, qu’on a affaire à des automobilistes frustrés et à une population en générale qui ne saisit pas que se déplacer à vélo n’est pas un jeu d’enfants. Faudrait inviter les coureurs World Tour à faire un peu de commuting quand ils viendront en ville en septembre prochain, histoire qu’ils se prononcent au sujet du concept de « Montréal, ville cycliste ».

2) Moins de coureurs, plus de sécurité! Qui a cru à cette boulechite? C’était pourtant la raison pour laquelle le nombre de coureurs par équipe a été diminué. On verra surtout que ça fera environ 25 gars en moins dans l’autobus qui ferme la marche lors des étapes de montagne. Ça aide aussi les équipes françaises non World Tour et désargentées que ASO affectionne tellement. Moins de coureurs à gérer, c’est moins de coûts et ce n’est certainement pas Quickstep, Movistar, Sun Web ou Sky qui se préoccupaient de la dépense. Quoique qu’avec la manière de dépenser chez Sky … tiens, tiens, tiens allons-y donc.

3) Froome, Brailsford et leurs avocats. Hinault a 100% raison. Le Blaireau a été bien docile durant son long sacerdoce au service de ASO. Mais une bête comme lui n’allait pas rester muselée jusqu’à sa mort. Hinault a raison quand il dit que Froome ne devrait pas être au Tour. Pour lui, c’est le contrôle anormalement positif qui lui mériterait d’être écarté. En soi, c’est une raison suffisante. J’ajouterais que Froome n’a aucune allure, qu’il pédale les genoux et les coudes écartés sur un vélo trop petit pour lui et qu’il n’a -à l’évidence- pas la classe pour être le champion que son palmarès fait de lui. En gros, FWIW, c’est une fripouille qui, comme son patron Brailsford et leurs avocats, est bien content qu’on s’intéresse au ventolin qu’il se met dans les poumons plutôt qu’au moteur qu’il a caché quelque part dans son vélo. Et puis maintenant il a Brailsford qui fait le bully avec Lappartient, s’attaquant à son statut d’élu local en France. Parfois, il faut vraiment aimer le vélo pour continuer à suivre le cyclisme pro.

4) Roubaix, la victoire! Elle était plate cette première semaine du Tour, mais quand même, il y a eu quelque chose de bon à souligner. Non, pas la roue qui tournait apparemment toute seule de Toms Skujins. Non, pas Sagan qui a décidé qu’il n’avait pas le goût de rouler au TTT. Non, pas la performance de Gavaria, bien qu’elle permette de faire oublier celle de Cav. 

Une dernière chance, allez. Nooon! Pas le maillot jaune de Van Avermaet! BMC l’a amené sur le Tour pour qu’il fasse exactement ce qu’il fait. D’autant qu’avec un leader comme Ritchie Porte, qui semble piloter une auto-tamponneuse, il ne fallait pas avoir trop d’espoir pour le général.

John Degenkolb. Oui! Voilà la seule chose positive de ce premier tiers de Tour de France. Cette victoire, il a commencé à travailler dessus le 23 janvier 2016, juste un instant après que lui et ses coéquipiers aient été frappés par une chauffarde lors d’une sortie d’entrainement à Majorque. Il était salement touché et il a eu besoin de tout ce temps pour revenir. Il n’avait plus gagné grand chose depuis, lui qui, jusqu’à cette agression, était pourtant membre en règle de l’escadron des sprinters funambules de sa génération. Mais il s’est imposé en costaud dimanche à Roubaix, l’étape épouvantail qui faisait peur au peloton tout entier. Dommage pour lui que la France ait gagné la Coupe du Monde le même jour. Ceci dit, je le regardais gérer dignement son trop plein d’émotions sur le podium et je me disais: I feel you.

Voilà, j’ai écrit tout ça en regardant Alaphilippe donner une 50e victoire de la saison Patrick Lefevere, son DS chez Quickstep. Peut-être que la deuxième semaine du Tour sera réussie? On verra bien. Et maintenant je me dis qu’avec tout ça, je n’ai même pas parlé des superbes myrtilles et des encore plus spectaculaires cerises qu’on a achetées, ma chérie et moi, lors de notre balade du côté d’English Bay Beach. Énormes, sucrés et luisants, ces fruits étaient parfaits et on ne savait plus où donner de la tête. C’est fou, j’étais en train de m’ostiner avec ma chérie, au sujet de ce qu’on allait acheter, quand une belle ado est arrivée derrière l’étale de fruits. Elle nous a envoyé un « qu’est-ce que vous allez prendre? » accompagné d’un sourire banane. Comme on affichait notre stupéfaction linguistique, elle a ajouté, cette fois sur un ton déçu, « ben oui, je parle français, tout le monde parle français ici ». Ouin, I feel you ma belle, c’est sûr, mais t’en fais pas trop, tu verras vite que ce n’est pas vrai même si tout le monde est ben ben gentil.

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