Deux bikes d'hiver pimpés et hors-normes



À Montréal en ce moment, d'étranges cyclistes rongent leurs freins en attendant que les vrais froids et la neige s'installent dans la vallée du St-Laurent. Oui, le froid et la neige. Ces maniaques, de plus en plus nombreux, roulent à l'année longue sans s'émouvoir lorsqu'ils sont entourés de neige, de glace et même de belle slush bien brune si typique de l'hiver montréalais. Je ne fais bien entendu pas partie de ce groupe d'intégristes du vélo. Pensez-vous, en indécrottable "roadie", même si une petite pluie occasionnelle d'été n'est pas pour me déplaire, je ne rêve que de belles routes, de chaleur et de soleil. En conséquence, je n'ai d'attirance que pour les beaux vélos de route bien glams. Ceux qui brillent. Ceux qui sont des pièces de technologie. Mais la saison qui vient n'est pas celle des formules 1, ni même celle des plus balourdes formules Indy. Toujours de mon point de vue de roadie, à regarder ce qui circule dans les rues l'hiver, ce serait la saison des bazous qui seront bons à balancer aux ordures quand la production de sirop d'érable reprendra. 

Je me prépare donc à voir, avec douleur, des cyclistes aux allures de scaphandriers se promener sur des vieux Vélo Sport, des Super Cycle ou, pour ceux qui sont orientés "performances", sur des Rocky Mountain des années 90. À chaque fois que j'assiste à un de ces spectacles, je me dis intérieurement: " Mais quels péchés avez-vous à expier pour rechercher un tel châtiment?" Souvent mon tempérament de missionnaire chrétien me souffle d'aider ces pauvres bougres: "Bruno, tu connais quelqu'un qui peut les sauver, faut leur en parler". C'est donc ce que je fais ici.
     
La machine attend l'hiver, se sera son deuxième, son
deuxième sans aucun entretien.
"Un bike d'hiver, faut qu'ça résiste à tout et faut pas que t'aies besoin de l'entretenir, pis c'est dégueulasse tout ce qui se ramasse là-dessus"

C'est pas moi qui dit ça, c'est Benjamin Tremblay. Ben, aka S-Ben de Noise Cobra, est un artiste touche-à-absolument-tout. Encore il y a seulement quelques jours, en compagnie de son comparse Jef-Hell, il a livré une prestation live bruyamment distorsionnée au Centre Sporobole de Sherbrooke dans le cadre de leur projet Anaconda. Pour bien décrire son parcours, une notice dans Wikipédia ne serait pas de trop. Mais en plus, Ben est un mécanicien de vélo comme on n'en rencontre que très peu. Il fait partie de ce tout petit groupe de personnes qui voient toujours et systématiquement la vie un p'tit peu différemment des autres. C'est comme s'il avait été vacciné contre le conformisme. En gros, la matière, les normes de fabrication et les "specs" officielles imposées par les fabricants n'ont pas d'emprise sur lui. Il voit plus loin. Ou plutôt, il voit juste à côté. Facile? Que non. Essayez donc ça juste quelques minutes, vous verrez que c'est pas simple. Mais quand ça fonctionne, qu'est-ce que ça permet d'être créatif.


Photo "type bannière cliché hot" voulant suggérer l'urbanité
de la machine hivernale ultime.
L'année dernière Ben s'est fixé pour objectif de construire un bike d'hiver qui serait une sorte de bike ultime, invincible, un dragster des neiges. L'équivalent du Faucon Millemium, mais fiable. "Tu vas pas comparer mon bike au Faucon Millenium?" Non-non-non Ben, t'en fais pas, j'te ferai jamais ça. Ok, ok ok, mettons que je viens de le faire, mais l'image est presque trop juste. Son bike devait avoir l'air de rien, pour ne pas attirer l'attention de manière à éviter le vol; ses mécanismes devaient être ultra résistants, le plus possible internes, et sans entretien; surtout, la machine devait permettre de rouler vite, parce que c'est comme ça qu'il faut rouler, hiver comme été. 

Pour le commun des mortels, lorsque ces objectifs sont établis, il faut ensuite faire une tournée des boutiques spécialisées et prendre des notes. Celui-là, à ce prix, tels avantages. Celui-ci, bien moins cher, tels inconvénients. Il y a une autre manière de faire. La "manière Ben". Déjà, longtemps avant l'hiver, tu commences à regarder pour un cadre de qualité. Ici, un cadre de qualité, ça veut dire: 1) qu'il va résister à l'oxydation; 2) qu'il a des roues 700 (rapport à la nécessité d'aller vite et à ce qu'une roue plus fine s'enfonce plus facilement dans la neige pour éventuellement atteindre l'asphalte); qu'il doit être à ta grandeur. Facile. Pas tant que ça.


Quand je dis "sans entretien", je suis sérieux. La bouette
et la crasse, en accumulation constante depuis l'automne
dernier, en font foi. 
Inventer son vélo, pièce par pièce...

Le cadre du Faucon de Ben a été trouvé un peu par hasard par un ami. C'est peut-être un Marin, mais rien n'est moins sûr. Ce qui est sûr par contre, c'est qu'il est en alu, certainement de l'alu à épaisseurs variables, et qu'il est diaboliquement léger. Ça, c'est le départ. 

Ensuite il a fallu habiller ce cadre, pièce par pièce. Et c'est dans ce domaine que Ben fait flèche de tout bois et s'impose en tant que "product manager" de génie. La "spec sheet" est surprenante. Non pas que le pneu à clous de la roue avant, les gardes-boues et le guidon bien large n'aient pas leur place sur cette machine. Les surprises sont ailleurs. On peut faire passer le projecteur sur la fourche carbone (avec colonne en alu), le frein à disque hydraulique Avid avec de l'huile synthétique -qui conserve ses propriétés malgré le froid- à l'avant et les roues 36 rayons montées mains, comme on le disait à une autre époque. Montées par Ben, naturellement.  


Comme un vieux mur de hangar souffre du passage du temps,
la clip qui retient le frein à rétropédalage a pris un petit coup
de vieux même si elle s'apprête à vivre son deuxième hiver. 
Au centre de la roue arrière se trouve la pièce de résistance. Au premier regard on dirait que c'est un moyeux de fixie, mais quand on s'attarde un peu, on remarque que c'est le fameux moyeux Sram S-7 doté d'un mécanisme à 7 vitesses internes et d'un frein à rétropédalage. 

Avec ça, le pilote des glaces a toujours une transmission capable de le laisser exprimer toute la puissance de son moteur, tout en disposant d'une indéfectible efficacité de freinage si jamais une déneigeuse de la ville de Montréal tentait d'attenter à ses jours. 

Pas pire, non ? 





La pièce créative: le tensionneur. Rendu nécessaire à cause
des pattes verticales du cadre, il s'agit du prototype
initial qui a déjà survécu à un hiver montréalais.

... en les modifiant au besoin

Mais la vie est pleine d'embûches. Le cadre est doté de "vertical drop-outs". Tsé, les pattes arrière haut de gamme qui permettent zéro ajustement du recul de la roue arrière? Si on a recours à un bon vieux dérailleur arrière, ou encore à un tendeur de chaîne, pas de trouble, la chaîne va se tendre automatiquement. Mais le product manager l'a dit: pas de mécanismes externes. Alors Ben a créé un tensionneur winter proof. Pas breveuté, mais presque. Il est fait avec un galet de dérailleur arrière et du strapping de plomberie. Avouez-le: vous n'y auriez pas pensé hein? Moi non plus. En plus, équipé comme ça, il peut utiliser une chaîne de BMX, bien large, et comme le mécanisme est bien aligné, le "drive train" est indestructible. Le tout est complété d'un moyeu avant XT naturellement bien scellé et d'un boîtier de pédalier -tout simple- à cartouche, accompagné de manivelles assez passe-partout, mais qui résistent jusqu'à présent fort bien à l'oxydation.


Avec l'éclairage fourni par le soleil d'automne tardif, le cadre
d'alu brut -sans aucune protection- adopte une allure platine
bleutée assez chic merci pour un bike d'hiver. On aime ça.
Et si on se dit les vraies affaires maintenant

Le choix des pièces, c'est déjà quelque chose. L'invention du tensionneur, c'est encore une coche de plus. Mais Ben ne s'est pas arrêté en si bon chemin. Et non. Reste encore une belle opportunité de personnalisation: la graisse des moyeux, de la direction, du jeu de pédalier. Tiens encore, l'huile pour la chaîne. Ni l'une, ni l'autre proviennent du monde du cyclisme: elles ont été créées pour faire fonctionner des équipements certainement plus populaires dans le Grand-Nord qu'à Montréal. Mais si on veut que notre bike soit performant dans toutes les conditions, il faut parfois ne pas s'arrêter uniquement devant l'étalage de graisse au téflon quand on visite son bike shop préféré. En fait, parfois c'est pas du tout au bike shop qu'on trouve ce qu'il nous faut: c'est plutôt dans une allée louche d'un Canadian Tire. 


Une autre machine qui attend la misère hivernale avec
désir. Coquetterie du désigner: le porte-bagages devait
encore être ajusté comme du monde lors du shooting. C'est
fait depuis.
Une seconde création: semblable, mais pas pareil

Quand on maîtrise son art, on peut s'amuser à respecter ses préceptes tout en se permettant de petits écarts qui font de chaque création un exemplaire unique. Dit autrement, quand tu es un mécanicien qui sait ce qu'il fait, tu peux te montrer opportuniste avec les choix des pièces et continuer à faire des bolides. C'est ce que Ben a fait en préparant le Winter Stealth. Ok, ok, ok, encore une fois, je le confesse, encore une fois l'appellation est de moi. C'est mon idée. Suis comme ça, peux pas m'en empêcher. 

Quand j'ai fait mon shooting photo, cette machine méticuleusement préparée par Ben sortait presque littéralement de son atelier de tuning. En comparaison avec son vélo, celui-ci étonne par sa sobriété et son allure proprette et urbaine (peu importe ce que ce dernier qualificatif veut réellement dire). Ça doit être la peinture noire qui fait la différence, parce que pour le volet mécanique, les ressemblances suggèrent la marque de commerce de Ben puisque le bike respecte les principes mis de l'avant par le designer. 

Le tensionneur en version améliorée. 
À la base, on retrouve à nouveau un cadre recyclé en alu, du 7005. C'était à l'origine un Norco de bonne qualité, lui aussi  doté de "vertical drop-outs" hauts de gamme. Le recours au tensionneur winter proof était donc inévitable. Ici, le strapping de plomberie a toutefois été remplacé par une clip d'alu qui devrait mieux vieillir. 

Le pédalier est un bon vieux Shimano Deore équipé d'un seul plateau. Un second serait bien inutile puisque le moyeux est un Nexus 3 de Shimano pourvu d'un mécanisme de changement de vitesse interne et d'un frein à tambour.   


Il faudra voir à quoi ressemblera le
moyeux Nexus 3 au printemps. Je
parie qu'avec le traitement spécial
de Ben, il sera encore prêt à servir
tout l'été sans problème.
Si on regarde à l'avant, on remarque que des freins de type V-brake Alivio sont montés sur une fourche carbone -colonne de direction en alu, naturellement. Le moyeu avant est un bon vieux Shimano 105, l'ancienne version, celle dont les roulements étaient inusables. 

On se dit que c'est un véhicule déjà pas mal luxueux pour affronter le doux et paisible hiver montréalais. Mais comme il l'a fait pour sa propre monture, Ben a pimpé tous les roulements en utilisant tous les produits magiques que je ne peux nommer ici(!) et qui font du Winter Stealth un animal parfaitement adapté pour mener la vie dure aux multiples tourmentes que l'hiver réservera à l'heureuse propriétaire de ce bolide.

"L'hiver arrive, j'va faire un tour de bike!"

Si la citation résonne dans vos oreilles comme le ferait l'écho de vos propres paroles, je vous verrai peut-être bientôt déguisé en scaphandrier roulant sur un vieux bourricot tout aussi moche que dangereux et inefficace. Dites-vous que la vie pourrait être agréable, performante et même sécuritaire sur un bon bike d'hiver. Suffit d'envisager la mécanique juste un peu différemment quand vient le temps de planifier son hiver sur deux roues. Pour reprendre une expression un peu galvaudée, il faut penser en dehors de la boîte. Vous n'y arrivez pas? Benjamin, lui, le fait naturellement. Comme je suis un type bien et que je veux être votre ami, je peux vous mettre en lien avec lui. Pas d'trouble. Un petit-petit bakchich de rien du tout et le tour sera joué. Ok, ok, ok, décidément je suis incorrigible, c'est encore mon idée. Suis comme ça, peux pas m'en empêcher. Désolé Ben. Mais sont top shape tes bikes. 

Photos en vrac (parce qu'il m'en restait encore)
Le Winter Stealth, à allure classique, photo classique. J'ai été chanceux, il n'y avait aucun tag nulle part pour salir mon arrière-plan.
J'ai fait référence à une couleur platine bleutée pour la couleur du Faucon. Une référence à la couleur  de la tôle de zinc des vieux hangars montréalais aurait été aussi juste.
Des pédales de BMX, c'est ce qu'il y a de mieux l'hiver, des fois qu'il faudrait vite mettre le pied par terre.
L'art de maquiller son vélo: un peu de tape électrique sur le moyeux arrière. 
Le pneu à clous est installé, amenez-en de la neige, de la glace et de la slush bien brune.





Commentaires

  1. Belle monture. Je suis pas prêt à dire que c'est le bike parfait (bien que ce soit pas loin), car ça dépend bien des usages. Je retiendrais certainement l'idée du tensionneur. Bref, il est bien aligné sur le chain line, tout en étant attaché à la base? J'imagine qu'il faut simplement le placer au bon endroit où la chaine croise la base. De plus, c'est un pneu clouté à l'avant, et à l'arrière? Est-ce que l'utilisateur se sert plus du frein à disque/v-brake ou du rétropédalage?

    Perso, mon bike d'hiver est en acier, mais j'ai ce vieux cadre d'alu qui n'attend que d'être monté!

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  2. Les freins à tambours! Où sont les freins à tambours?

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  3. Désolé pour le délai, Noël implique que je suis moins souvent devant un ordi. Merci pour vos commentaires, quelques pistes de réponse...

    D'abord à Anonyme, pour le tensionneur, j'ai vérifié avec son inventeur et tu as tout compris. Il faut le placer "à'bonne place". Pour les clous, la réponse n'est pas simple, mais selon les circonstances, la quantité de glace mettons, il est parfois préférable d'en avoir à l'avant et à l'arrière. Les freins c'est un peu aussi selon le style de chacun, mais en gros, c'est comme l'été, le frein avant fait stopper plus directement... parfois au risque de perdre le contrôle si c'est trop glissant, d'où l'importance d'avoir un frein arrière indéfectible.

    Nicolas, en reprenant l'esprit de ta ponctuation: Les freins à tambours? Mets ça au singulier et joue à "Où est Charlie"!

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