Cycles Bassi, la culture du Mile-End, de Rome à Tokyo
J'écris
pas vite pis je fais trop de digressions quand je raconte de quoi.
Tiens, là j'ai envie de parler d'une marque de bike, mais je vais
pas le faire directement. Un soir je marchais sur Prince-Arthur avec
mademoiselle Ragueneau. Nous revenions du Cinéma du Parc et nous
épluchions, séquence par séquence, le film que nous venions de
voir. Ceci, non cela, le réalisateur aurait dû, non je crois pas.
Et là «oups». Oups comme
dans «Oups, attends une minute, c'est quoi le fixie qui vient de
virer l'coin?» Un quoi? Un Basso? La petite marque italienne presque
disparue? J'avais rien vu en fait. Je fais ça tout le temps quand je
vois un vélo, j'essaie de deviner sa marque avant d'avoir vraiment
lu son nom. C'est mon syndrôme, une de mes maladies. Sauf que ce
coup-là, ce que j'ai lu sur le downtube ne
correspondait à vraiment aucune entrée dans ma bd: c'était un
Bassi. Excité comme un paléontologue qui découvre le fossile d'une
bébitte inconnue, je venais de repérer une nouvelle marque. Mais
s'agissait-il d'un spécimen
annonciateur d'un long lignage à venir ou, au contraire, du dernier
représentant d'une sous-espèce jusque-là demeurée sous le spectre
de mon radar? Après
une courte recherche j'ai retracé son lieu de naissance: C&L Cycle,
une minuscule boutique de vélo sur la rue Villeneuve, pas loin de
St-Urbain, à la marche du Plateau et du Mile-End. Là, en plein royaume des hipsters, j'ai trouvé ma réponse.
Ok, deuxième paragraphe et première digression. Je ne suis certainement
pas un hipster, ça se saurait. Je n'en suis pas un parce que je ne
porte pas les mêmes vêtements qu'eux, que je ne porte pas de
grosses lunettes trop grosses pour ma grosse face et que je n'ai pas
une coupe de cheveux faite à la tondeuse à gazon. Comme eux je
pratique les médias sociaux, mais je n'ai pas de plug-in dans la
tête pour le faire aussi bien qu'eux. Une autre différence: j'aime
pas la Blue Ribbon dont ils se gavent. N'ont pas de goût pour la
bière les hipsters. Mais je les aime parce qu'eux et moi avons une
chose en commun. Non, deux choses. D'abord, nous sommes urbains.
Ensuite nous nous déplaçons à vélo. Mais pas avec n'importe quel
bike vulgaire, commun et moche. Non. Les hipsters et moi, on aime les
beaux bikes. Eux, c'est les fixies. Moi, suis un roadie. Chacun sa
maladie, mais eux et moi -qui en ai tant!- en partageons une: l'amour
pour les vieilles marques au passé prestigieux comme Cinelli,
Bianchi, Motobécane ou Peugeot. Comment situer Bassi dans cette
cosmologie du branding?
Une visite chez C&L Cycle s'imposait.
C&L Cycle est installé dans les anciens locaux de Cycles Villeneuve, un bike shop de quartier qui avait une allure brouillonne et sympathique. Depuis que Jean-Michel Cauvin et Jean-Daniel Lafleur ont lancé C&L Cycle, la vie du quartier est demeurée au coeur des opérations de la boutique. La réciproque est valide aussi. Par exemple, quand je suis passé voir la shop, des gamines qui habitent juste à côté avaient profité de l'achalandage créé par la boutique pour vendre de la limonade aux clients qui attendaient pour une réparation express. Ces gamines avaient déjà compris comment la convergence marche! «La porte du local est ouverte et on répare les bicycles de nos voisins». C'est ce que m'explique Jean-Daniel en me faisant le tour du propriétaire. En fait, je devais rencontrer Jean-Michel, mais comme je suis passé à la veille du 1er juillet, il était retenu par son déménagement. Quand il faut, ben il faut et c'est assez typiquement montréalais comme phénomène. Heureusement pour moi, Jean-Daniel avait le goût de me jaser.
Bassi, la marque
Remerciements attiliens à l'équipe de C&L Cycle qui a été généreuse de son temps et qui m'a enduré pendant que je fouinais dans leur shop.
Photos en vrac (parce qu'il m'en restait encore)
En entrant dans la place j'ai fait un voyage dans le temps vers une époque où les photos couleurs n'existaient pas. Le sépia s'imposait, même si c'est pas mal cliché. |
C&L Cycle: «on répare les bicycles de nos voisins»
C&L Cycle est installé dans les anciens locaux de Cycles Villeneuve, un bike shop de quartier qui avait une allure brouillonne et sympathique. Depuis que Jean-Michel Cauvin et Jean-Daniel Lafleur ont lancé C&L Cycle, la vie du quartier est demeurée au coeur des opérations de la boutique. La réciproque est valide aussi. Par exemple, quand je suis passé voir la shop, des gamines qui habitent juste à côté avaient profité de l'achalandage créé par la boutique pour vendre de la limonade aux clients qui attendaient pour une réparation express. Ces gamines avaient déjà compris comment la convergence marche! «La porte du local est ouverte et on répare les bicycles de nos voisins». C'est ce que m'explique Jean-Daniel en me faisant le tour du propriétaire. En fait, je devais rencontrer Jean-Michel, mais comme je suis passé à la veille du 1er juillet, il était retenu par son déménagement. Quand il faut, ben il faut et c'est assez typiquement montréalais comme phénomène. Heureusement pour moi, Jean-Daniel avait le goût de me jaser.
Des drop-outs de piste, ça ne résume pas ce que les Bassi ont de particulier, mais ça illustre bien une partie de leur culture. Sont beaux en plus, non? |
Donc c'est ça qu'on a fait. Une question me hantait: pis, les fixies, ça
représente quoi pour vous? Lui de me répondre: qu'ici on
vende des fixies, c'est pas ça qui compte. Ce qui compte, c'est que
le vélo soit l'fun. Enfant, j'me rappelle que j'me déplaçais à
vélo pour le fun, comme pour aller à la pêche ou pour faire du
camping par exemple. Moi j'avais un Peugeot avec des jantes en acier.
Quand il pleuvait, on n'avait pu de frein. C'était pas grave quand
ça arrivait, on aimait ça pareil se promener à vélo. C'était
aussi l'époque des Vélo Sport de cyclotourisme et de leur cadre sur
lequel on pouvait accrocher nos rayons de spare».
Il a continué: C&L Cycle, c'est avant tout un magasin fréquenté
par les gens du voisinage, les gens qui trouvent ça l'fun de se
déplacer à vélo. C'est une shop de quartier. Les gens viennent
faire réparer leur vélo, leurs crevaisons, leurs freins qui
collent. C'est dans cet environnement là que le fixie s'est imposé.
Parce qu'un fixie, c'est beau, c'est personnel et c'est l'fun. Nous,
avec ce qu'on voyait grâce aux gens qui passent, on s'est dit que ce
serait l'fun d'avoir nos vélos et de les faire comme on les voulait,
pour le fun».
Joli non? Mais méchante drop selle-guidon. La gang de maniaques sur les forum de Slowtwitch en ferait une crise d''arythmie en voyant ça. Pas grave, ce bike est fait pour la ville et pour être ridé les mains en haut du guidon. |
Sixième paragraphe, deuxième digression. Le temps qu'il a fallu à
Jean-Daniel pour dire les mots qui précèdent, sa shop déjà pleine
de monde «à rabord» s'est mise à débordée sérieusement.
Tellement que même les gamines à la limonade ne fournissaient plus.
En arrivant j'avais remarqué en serrant la pince à Jean-Daniel
qu'il avait la peau des mains bien dure et noircie par la crasse de
bécyk. J'ai compris pourquoi. Réparations de crevaison, alignements
sommaires de roues, serrages d'urgence de potence ou de selle, mon
interviewé fait tout ça, des fois directement sur le trottoir. Le
bike pour ce gars-là, c'est pas compliqué: c'est brisé, on le
répare, on le replace pis ça roule. Après le petit rush mon
interlocuteur est revenu vers moi: «de quoi on parlait
déjà?» Ah oui, de nos vélos à nous: les Bassi.
Bassi, la marque
«En regardant ce que notre clientèle aimait, Jean-Michel et moi on s'est
dit qu'on était capable de faire des vélos qui répondraient aux
attentes de nos clients. C'est des gens qui utilisent leur vélo en
ville et qui ont un goût pour le beau, pour l'esthétique des années
50 à 70. Ça tombe bien parce que c'est aussi nos influences à
nous». Je gagnerai pas un prix de journalisme de même, mais j'ai
interrompu Jean-Daniel avec des questions en rafales: Alors vous
faites vos bikes vous mêmes? Vous les faites où? Qu'est-ce que vous
utilisez comme tubes? J'étais emporté par le rythme de mes
interrogations qui m'amenaient vers l'ancien monde des vieux
artisans. J'espérais tellement entendre que les cadres étaient
soudés dans un p'tit atelier caché dans un vieux sweat-shop
en briques brunes situé pas loin. Je voulais parler au soudeur! La
réponse a un peu pris de court le vieux romantique en moi: «les
cadres sont faits à Taiwan selon nos spécifications». Jean-Daniel a
enchaîné: «avant d'ouvrir C&L Cycle Jean-Michel et moi avons
développé pas mal d'expérience dans le domaine de l'importation et
de l'exportation et du commerce avec l'étranger en général. C'est
notre force. On a fait appel à un designer en Italie pour nous aider
avec nos géométries et on a travaillé avec une usine chinoise pour
la fabrication. Nos vélos sont faits de chromo
4130 triple butted
et ils sont soudés au tig».
Là,le hamster que j'ai à la place du cerveau a activé sa machine à
remonter dans le temps. Il est remonté jusqu'aux années 80. À
cette époque, un vrai cadre de course était composé de tubes
Colombus SL... eux-mêmes faits à partir de chromo 4130 à -à
peine- double épaisseur. En deux mots, les Bassi sont faits avec du
maudit beau tuyau. Alors tant pis pour les raccords et la
sudo-brasure pourtant indissociable des «vrais» cadres d'acier.
Après tout, même Marinoni soudait ses EL Oversize au tig...
Roma-Tokyo,
Montréal et ailleurs...
Ok, ça suffit les digressions, je reviens en 2012 sur la rue Villeneuve.
Jean-Daniel, je commence à comprendre que toi et ton partner
in crime avez bien fait vos devoirs, peux-tu me parler un peu de vos modèles?
«Notre premier modèle est le Roma-Tokyo. C'est un fixie qui
s'inspire des bikes de keirin, la discipline si populaire au Japon.
Mais comme il est fait pour rouler dans les rues, on a adapté un peu
la géométrie en ajoutant 2,5 cm au devant du cadre. Comme ça il y
a moins de risques de frotter ton pied sur la roue avant et ça
permet d'utiliser des pneus de 35 mm. On voulait quant même que le
cadre puisse être utilisé sur la piste, alors on a équipé les
drop-outs horizontaux de visses de tension: avec ça, même les démarrages en
puissance ne pourront pas faire glisser la roue arrière de sa
position idéale». Moi j'écoutais... hey, c't'une bonne idée ça,
pis j'avais pas ça sur mon bike de piste dans l'temps.
Il
poursuit: «En ce moment on est en train de lancer un nouveau cadre:
le Montréal. Lui aussi est fait en acier, avec les mêmes tubes.
C'est un vélo de tourisme léger, de credit
card tourism
si on veut. Il peut être monté en fixie, mais il est fait pour
recevoir des freins à cantileviers. D'ailleurs, Trektro en a fait
sur mesure pour le Montréal. On a un troisième cadre qui s'en
vient, mais il est trop tôt pour en parler maintenant».
La
fierté de Jean-Daniel: voir un Bassi qu'il «ne connaît pas»
Là, ce que je vais dire ressemble à une digression, mais s'en est pas
une du tout. J'écoutais Jean-Daniel, qui a eu la générosité de
m'accorder du temps, et je ne pouvais faire autrement que de me dire
qu'ils ont un côté humble, sinon cachottier, les pères de cycles
Bassi. Tektro a développé un frein pour eux et, même si je ne ne
l'ai pas dit, Bassi offre déjà une gamme de composantes signées et
portant leur logo. Ces pièces sont pas mal sexy en plus. Une usine à Taiwan construit pour eux les cadres comme ils les veulent -pas
question de cadres génériques que l'ont pourrait retrouver sous les
décalques d'une autre marque. Un brave monsieur en Italie les «aide»
avec les géométries -d'autres se vanteraient de collaborer avec un
designer italien de renom qui préfère garder l'anonymat. Ça fait
beaucoup de contacts en banque pour une marque naissante. J'écoutais
Jean-Daniel me présenter son enchaînement de modèles et me
raconter sa passion pour le bécyk et je retrouvais l'esprit d'un
artisan. Sauf que je commençais à comprendre que l'artisan que
j'avais devant moi est un gars bien de son temps qui envisage sa
marque non pas comme un phénomène local, mais plutôt comme projet
ouvert sur l'extérieur. Pas de doute, c'est un gars de vélo, un
gars dont les mains manient bien les clés ouvertes de 15, 10 et 8 mm
si utiles pour réparer les vélos-qui-manquent-d'amour de ses
voisins. Mais c'est aussi un gars dont les mains connaissent bien le
clavier de son ordinateur et qui sait faire un plan d'affaire
articulé.
Jean-Daniel me disait qu'une de ses fiertés ces jours-ci est de voir un Bassi
qu'il «ne connaît pas». Ça lui arrive de plus en plus puisque
déjà à Montréal des magasins reconnus dans le monde des fixies
offrent les Bassi à leurs clients. Mais il y a plus que Montréal.
La côte ouest est sur le point de faire connaissance avec la marque
Bassi puisque des discussions sont en cours avec une belle shop de
Vancouver. Les autres centres urbains au Canada sont aussi dans la
mire des fondateurs de la marque. Et puis les pères fondateurs de
Bassi sont des habitués d'Interbike, l'immense tradeshow
de Las Vegas, alors qui sait ce qu'ils trafiqueront avec les
détaillants du pays de l'oncle Sam. Avec leur allure vintage, leurs belles couleurs et les valeurs que portent la marque, les bikes de Jean-Daniel et Jean-Michel n'ont pas fini de séduire les cyclistes urbains, hipsters ou non. À bien y penser,
avec leur allure classique, leur logo glam, la vieille police avec
serif utilisée pour écrire le nom de la marque, sans même parler
du luxe chic qui émane des vélos une fois assemblés, la route est
ouverte pour les Bassi. Ce
sera l'fun de regarder jusqu'où elle mènera.
Suivez les Cycles Bassi sur les médias sociaux:
Remerciements attiliens à l'équipe de C&L Cycle qui a été généreuse de son temps et qui m'a enduré pendant que je fouinais dans leur shop.
Photos en vrac (parce qu'il m'en restait encore)
C&L Cycle a pignon sur rue sur la petite rue Villeneuve tout près de St-Urbain. On est loin du Dix-30 et de la consommation de masse mettons. |
Désolé pour les petites poussières, les photos ont été prises dans la rue devant la shop. On peut quand même apprécier la qualité de la finition. |
Pourquoi faire comme tout le monde? Pourquoi être comme tout le monde? Un Bassi ça se personnalise, ça se pimp, ça se tune! |
Tu aimes le noir? Pas de trouble, il sera noir ton bike. |
Et oui, un Marinoni. Il y en avait plusieurs chez C&L Cycle. Les gens qui fréquentent la boutique aiment décidément les beaux objets. |
Un Bianchi albinos. |
Sat, je me suis permis in petit lien vers voter article, c'est super intereassant en plus d'être bien écrit!
RépondreSupprimertmblr.co/ZWkehuRT7imO
Je sais pas si tu avais vu ma réponse, je l'ai postée sans te répondre directement... pas fort! alors... je te disais...: "Merci! Istanbul-Berlin, ça va être sportif tes vacances! Je suivrai tes péripéties sur ton blogue... amuse-toi bien sur la route!"
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