Changement de paradigme: un cadre Marinoni en aluminium


Faut pas accepter de souffrir. Faut pas avoir peur d'être différent. Je voulais un cadre d'aluminium. Même que ça faisait un petit moment que j'y pensais. Depuis la fin de l'été 2008, donc trois ans pour être précis. Cet été là, j'ai recommencé à rouler en ayant un plaisir nouveau à le faire. J'utilisais un chouette petit cadre d'alu/carbone sur lequel j'avais monté mon bon vieux groupe Campy Chorus et mes roues Ksyrium SL. J'ai perdu presque toute ma si généreuse bedaine de bière sur ce bike, je ne pouvais que vivre dans la nostalgie depuis. Ensuite j'ai eu des cadres de carbone. Des bons cadres. D'ailleurs, j'en ai toujours un dont je ne compte pas me départir. Mais, par un beau matin de septembre, je me suis dit en me levant: "let's go, c'est aujourd'hui que je règle ça". Direction Lachenais vers un des plus hauts lieux du cyclisme au Canada, on s'en va chez Marinoni. Je vais avoir un nouveau vélo et ce sera un Marinoni.

Marinoni Delta, il n'a rien d'un
bourricot.
Alu = bourricot
Non, non, non, ça s'peut pas

Je savais ce que je voulais parce que j'avais gardé un oeil "distrait" sur ce qui existait. Chaque fois que je regardais attentivement un cadre d'alu offert par l'un ou l'autre des grands fabricants présents sur le marché canadien, une conclusion douloureuse me mordait un mollet: tout le monde associe l'alu à une pratique cycliste néophyte. Or, sans prétention aucune, c'est pas pour me prendre pour un autre mettons, c'est bien pour dire, mais quand même, genre que je pense pas être un néophyte dans le domaine. Je m'explique, c'est d'ailleurs très simple.

La géométrie des vélos d'alu qu'on trouve sur le marché n'a généralement rien à voir avec celle d'un grand coursier. Systématiquement, les douilles de direction sont trop longues tandis que les tubes horizontaux sont trop courts. Ceci implique que le cycliste aura une position "bien" relevée et "confortable". Ben, confortable pour les mononcles peut-être. En plus, l'empattement est si long qu'il suggère celui d'un Freightliner. On est loin de la petite bête nerveuse. Pire encore, la piètre qualité de l'alu avec lequel ces cadres sont fabriqués appauvrit encore davantage la valeur de ce qui est offert. Qui n'est pas resté perplexe en apprenant qu'un cadre était fabriqué de tubes d'aluminium haute performance de grade maison XYZ inconnu dans l'industrie de l'aluminium dont la forme est obtenue par hydroformage? Moi en tout cas, quand je vois ça, je suis pas convaincu du tout. Ça hume trop la boulechite pour être tenu pour crédible. Quand on regarde ces cadres d'un peu plus près, on voit même qu'ils ont des "eyelets" pour accrocher un porte-bagage et des garde-boues et que la colonne de la fourche est en alu cheap, sinon en acier. Arrêtez, de grâce, n'en jetez plus, la coupe est pleine. N'y avait-il plus aucun vrai beau cadre d'alu sur terre?

Là, je dis ça, mais je ne suis pas encore rendu chez Marinoni. La réflexion ne vient pas d'eux, c'est pas le genre de la maison de chippoter comme ça, du moins en public. Et personne ne m'a raconté cette histoire, aucun vendeur ne m'a soufflé cette analyse en vue de me refiler un vieux cadre jaune fluo et invendable qui trainait à la cave depuis une décennie. C'est tout de mon cru, c'est du Paradis pur sucre et c'est ce qui m'a guidé vers la famille Marinoni: ils ne font pas des bourricots, pas même en aluminium. Il me semble que je le savais depuis presque toujours, un coup d'oeil à leur site Web m'a conforté dans ma certitude. Leur Delta, qui n'est pourtant pas leur vélo le plus "tendance" mettons, avait une vraie géométrie de coursier et il était fait pour moi. Je le savais avant de me déplacer. Pis c'est un tout alu, triangle arrière inclus.

Un triangle arrière en aluminium,
mais sans "eyelets": une rareté.
Une visite chez Marinoni
... comme dans mes souvenirs

Ça faisait longtemps que je n'étais plus retourné à l'usine Marinoni. Moi, l'habitué des boutiques de vélos, je me surprenais à être excité comme un enfant. Il faut dire qu'il ne manque pas de raison pour être excité: les lieux sont hors du commun, rien à voir avec un magasin. C'est une usine à laquelle on a greffé un showroom. Il y a bien quelques vélos sur des présentoirs, mais on dirait qu'ils sont là parce qu'il n'y a pas de place ailleurs. C'est comme s'ils étaient là sans être à vendre. En fait, c'est ça la différence: tout ce qui est devant moi est vendu. Ça change la dynamique d'achat mettons. Une fois le tour du showroom complété sans que personne ne soit venu me demander s'il pouvait m'aider, je me suis avancé dans l'usine, un peu comme on entre dans une vieille église romane pour la première fois, à pas feutrés et sans faire de bruit.

"Bonjour, eum, vous avez un rendez-vous?" C'est monsieur Marinoni qui vient vers moi. Le monsieur Marinoni en question, c'est Paolo, pas Giuseppe. Là, je mesure le temps qui s'est écoulé depuis ma dernière visite. Je lui explique tout de go ce qui m'amène chez lui: "je veux un cadre en alu, le Delta, un 43, avec la fourche. Et la direction".

Là, Paolo m'a regardé, sans parler. Oh! quel effet de déjà vu! Ce regard là, je l'avais déjà rencontré avant. Ça a dû durer au moins 15 minutes... ou 3 secondes. Enfin, j'ai eu largement le temps de me perdre dans mes souvenirs: je n'avais plus 41 ans, mais 14, le bike que je voulais acheter n'était pas un alu taille 43, mais un Columbus SL taille 52 et le monsieur Marinoni qui me toisait du regard était Giuseppe. Déjà anormalement sûr de ma science cycliste, cette fois-là aussi je m'étais rendu chez les Marinoni avec une idée précise en tête. J'étais ressorti, très rapidement, un peu vexé et quasi mortellement déçu, quand j'ai eu compris que je n'avais pas assez d'argent pour me payer mon vélo de rêve. Assis un peu en retrait, visiblement fatigué de sa journée, M. Marinoni m'avait regardé entrer et sortir, un petit sourire en coin. Mon père, lui, était resté avec M. Marinoni... pendant que j'attendais dans l'auto. Disons que j'avais du caractère. En arrivant à la maison un peu plus tard, mon père m'a dit: "rappelle dont M. Marinoni et dis-lui comment tu le veux ton vélo". "Ben p'pa, sont fermés à c't'heure là", objectais-je. "Appelle, sont encore là j'gage". Je sais pas ce que mon père et M. Marinoni se sont raconté, mais dès le lendemain je faisais une course avec un vélo neuf, parfait pour moi. J'ai eu d'autres Marinoni, mais celui-là est encore précieusement caché chez mes parents, celui-là que je ne vendrai JAMAIS.

Pense pas que Paolo savait que j'étais rendu si loin quand il m'a répondu : "tu veux pas un carbone??"
Moi: "Non, non, alu. Pour la couleur, je le veux rouge avec une bande blanche sur le downtube, c'est-tu possible d'avoir votre ancien lettrage?"

"Ah, là faut que tu parles à Simone".  Cool! je viens de passer le test! Je vais avoir mon bike!

Les chiffres qui comptent sur ce cadre: grandeur 43,
hauteur 46 cm, longueur 52 cm, douille de
direction 10,6 cm, bases 40,8 cm.
"Je le veux rouge avec une bande blanche sur le downtube, c'est-tu possible d'avoir votre ancien lettrage?"

Madame Marinoni arrive. Quelle énergie. On comprend vite pourquoi elle a pu être responsable des cosmétiques de tous ces cadres au fil du temps. Je lui explique comment je vois mon futur bike ("je le veux rouge avec une bande blanche sur le downtube, c'est-tu possible d'avoir votre ancien lettrage?"). Quelques minutes, c'est tout le temps que ça a pris: elle a ouvert deux, trois ou quatre de ses tiroirs et m'a suggéré deux, trois ou quatre affaires, mon nom sera même dessus. "Bruno Paradis, ouais, ouais j'me disais bien que j'te reconnaissais. Espoirs Laval, c'est ça!"

C'est drôle, je ne suis pas très fier de ce que j'ai été comme coureur, mais j'étais flatté: "Wow! Ah oui, pis ça fait vraiment longtemps." Quelle mémoire.

Le cadre, habillé avec un gruppo Chorus 11 et des roues
Fulcrum Racing Zero ROUGE ! Un bike qui flashe,
c'est correct!
Que deux semaines plus tard, je l'ai. Il est parfait

Deux semaines plus tard, c'est le moment d'aller chercher mon nouveau joujou. Personne imagine à quel point j'avais hâte de voir mon cadre. C'est bien pour dire, si on achète n'importe quel autre vélo produit par un "grand fabricant", on peut aller à New York, Vancouver ou à Barcelone et on verra une copie conforme de ce qu'on vient d'acheter. Là, ce n'était pas le cas, c'était une commande unique et très spéciale.

Quand Madame Marinoni me l'a remis, j'ai été frappé par l'aspect très classique du cadre. C'est exactement ce que je voulais, il est parfait. Mieux encore, la finition est irréprochable. Les filets du boîtier de pédalier ont été nettoyés, le tube de selle est propre, propre, propre et la direction est bien "rimée": ça va être une joie de monter mon gruppo là-dessus. C'est ce que j'ai entrepris le lendemain en fin d'après-midi, bien installé avec le workstand Park dans mon salon. Oui, dans mon salon, en prenant une titte frette. J'ai le droit, c'est chez moi. Et j'ai même pu terminer tranquillement en écoutant le hockey.

Le nécessaire de nettoyage: du bike
wash, du Big Orange et un autre
produit mystère dont je taie le nom.
Chacun son produit secret.
Démontage, nettoyage, remontage, j'ai fait un copier/coller d'un cadre à l'autre (parce qu'on compare pas des pommes avec des oranges)

Comme tout le monde le sait, les cadres d'alu, c'est pas confortable: "ça tape en maudit"; "ça vibre, j'avais mal partout"; "c'est le pire matériel" et tutti quanti. C'est une ritournelle populaire et la plupart du temps ça vient de rouleurs dont le niveau de compétence dans le domaine gagnerait à être démontré. Qu'à cela ne tienne, vrai ou pas, le stéréotype négatif, lui, se porte à merveille, pour le plus grand profit des fabricants de cadres de carbone d'ailleurs. De manière à bien prendre la mesure des qualités du Marinoni Delta -et parce que je n'ai pas assez d'argent pour m'acheter un autre gruppo et de nouvelles roues-, j'ai démonté tout ce qui se trouvait sur le cadre de carbone que j'utilisais avec beaucoup de bonheur depuis un an, pour ensuite tout installer sur ma nouvelle merveille d'alu.

 Quand on frotte du Campy,
c'est magique: ça redevient neuf.
Démontage, nettoyage, remontage, j'ai fait un copier/coller d'un cadre à l'autre. Je n'ai même pas changer un câble, ni même une gaine. Même les vieux pneus dépareillés qui étaient sur mes roues ont suivi.

Côté position, j'ai aussi fait un copier/coller. Donc, aucun changement du recul de selle, ni de sa hauteur, même distance de cockpit, même "drop" de guidon, tout pareil. Une seule variable change: l'ensemble cadre/fourche. Comme ça, je vais le savoir assez vite si c'est pas confortable ce petit cadre-là. Mais ça, c'est une autre paire de manches...

La suite... Donnez-moi d'l'asphalte que j'essaie ça un peu... pas facile de rouler à Montréal à la fin octobre










Commentaires

  1. Ooooh... beau vélo! Je trouve ça dommage aussi que presque tous les fabricants vendent leur alus comme des vélos cheap ou pour débutants.

    Corrige-moi si j'ai tord mais un Cannondale CAAD10 c'est une jolie machine de course.

    Stevens aussi ont un beau cadre en Alu.

    Sinon j'avoue c'est triste.

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  2. Ok, le gars a fait ses devoirs… et le tour complet de la question. C’est une question pour un champion, je relève le défi!

    Le Cannondale est vraiment hot. La marque a innové avec les premiers cadres d’alu sur route –ne parlons pas des Vitus, merci- et sauf erreur, ils équipaient le tout puissant train rouge de la Saeco qui préparait le terrain pour Mario Cipollini durant les années EPO-full throttle. Moi, je suis un fan de Super Mario depuis toujours. Quel emmerdeur. Parait même que quand il a couru pour Rock Racing, il a fait chier tout le monde à propos du bike que l’équipe lui fournissait et il s’est finalement fait faire un cadre d’ALU par un orfèvre de sa connaissance. Respect. Pour moi le CAAD10 était sur les rangs. C’est une bombe. Le devant du cadre est particulièrement hot. Sauf que, y’a un mais, voire quelques-uns. Dans l’ordre :

    - Pas sûr que j’aime ça le BB30. C’est léger, mais ça craque. J’aime mieux mon bon vieux BB BSA. Autrement j’opterais pour un BB86 (aka le « Madone Standard » je crois).

    - Avec leur hauteur de boitier de pédalier à 72mm et leur douille de direction de 11cm dans ma grandeur –qui est d’ailleurs la plus petite que la marque offre-, je me retrouverais à avoir mon guidon un peu trop haut à mon goût. Là, faudrait que je gosse pour me trouver une potence avec un angle non-standard et je serais pogné pour expliquer mon choix d’équipement aux copains/copines tout l’été. C’est pas cool. Quand je prends ma titte bière d’après ride, j’aime mieux parler d’autre chose ;-)

    - Il n’est pas officiellement offert en cadre seul, même si on se doute qu’un client suffisamment armé en argent comptant se pointant chez un détaillant au mois d’octobre peut trouver un mécanicien complaisant près à démonter n’importe quoi pour faire une vente. Mais d’aucune manière j’aurais pu avoir mon nom dessus et une couleur introuvable à New York, Vancouver ou à Barcelone.

    - Ceci dit, sa géométrie est équilibrée, son alu classique, et si Sébastien Beauvais –le rep Cannondale ici- me lit, qu’il sache que je suis pas mal open pour faire un road test d’une de ses belles machines. En passant Sébastien, tu t’en rappelles certainement pas, mais il nous arrivait de rouler ensemble dans le temps que tu portais un maillot bleu et jaune avec GT écrit dessus.

    Pour le Stevens maintenant. Officiellement, sont presque les seuls à offrir un cadre en scandium: le Vuelta. Pis j’aime ça le scandium mon ami! Leur géométrie est presque toute parfaite, sauf pour la douille de direction de 11 cm pour le 50 qui est ma taille. Pas facile être un nain de jardin qui aime avoir une drop de guidon de 8 cm!

    Si le rep –dont je ne connais pas le nom- lit ce qui suit, encore une fois, je suis open pour donner une ride à n’importe quel de ses bikes. Mais ce rep a-t-il un Scandium à sortir de sa petit poche si quelqu’un veut en acheter un ?

    Hey Mathieu, merci !

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  3. Beaucoup de plaisir à lire ta chronique....
    Je suis pas mal fixée sur le choix de mon prochain bike. Il ne sera pas en alu, mais ce sera un Marinoni. C'est tellement vrai qu'il faut passer le test pour pouvoir acheter un de leur vélo. Comme j'ai échoué le premier test avec le Super Vectra, j'espère bien réussir le deuxième test avec le modèle Fusion. ;-)

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    1. Bonjour Chantal P, heureux d'apprendre que tu as eu du plaisir à lire cette chronique: j'ai eu beaucoup de plaisir à l'écrire!
      Un Fusion... le meilleur de deux mondes réuni grâce à un travail d'orfèvre? Pas une mauvaise idée...

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  4. Salut Bruno!

    Elle est superbe ta ride! J'ai le même modèle que toi (cadre 2010) et je l'aime beaucoup.

    Saurais-tu si le cadre du Delta accepterait des roues C17 pour des pneus 25mm? En ce moment je roule sur des Fulcrum Racing 5 avec du 23mm, mais j'aimerais bien essayez les nouveaux Shamal C17 avec du 25mm. J'ignore si le cadre l'accepterait (assez d'espace) pour le moment.

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    1. Salut Brian, on n'est pas très nombreux à avoir fait le choix du Delta. Après déjà 4 ans, je l'aime autant. Le choix des Shamal est excellent, mais j'ai bien peur que les pneus 25 mm seront un peu "serrés" sur le cadre. Je n'ai pas essayé sur le mien, mais le 23mm à l'arrière prend déjà pas mal de place.
      As-tu des photos de ton Delta? Suis curieux...

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  5. J'ai un Delta xtra 2004, machine incroyable, avant je roulais sur du Continental GP4000 23mm car le 25 mm frottait à l'arrière, mais avec le Continental GP 4 seasons qui est identique au 4000 comme roulement pas de problème.

    En passant c'est le velo personnel de Giuseppe (Delta)

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