Mon jubilé de dix ans: ma genèse de l'État moderne
Un jubilé de dix ans? Je raconte n'importe quoi. Un jubilé, c’est pas pour souligner un cinquantième anniversaire de quelque chose? Un règne par exemple? Oui, en général, mais le mot est aussi employé dans certaines régions pour célèbrer l'anniversaire d'un évènement marquant de la vie. Alors merci Le Petit Robert de m’autoriser un jubilé pour marquer la fin de ma vie d'historien il y a maintenant une décennie. Et oui, j’ai mis un terme à mes études en histoire il y a maintenant dix ans, à 35 ans, un âge bien avancé pour un étudiant.
Non pas que j’aie perdu mon temps en explorant mille programmes. Non, je n’ai pas exploré mille programmes. Non, je n’ai pas perdu mon temps. C’est plutôt que mon parcours a nécessité du temps, avec comme principaux jalons, un bac commencé tard puis presqu’entièrement fait à temps partiel, une maîtrise à temps partielle abandonnée puis reprise à temps plein dans un puissant second souffle et, finalement, des études doctorales qui devaient durer quatre petites années, mais qui n’ont cessé qu’après six années difficiles au cours desquelles j’ai néanmoins livré un Diplôme d’Études Approfondies français à Lyon 2 (DEA) -ou si vous voulez, une deuxième maîtrise en équivalence québécoise. Trop longue, la dernière phrase est bien exigeante à lire: le cheminement qu’elle relate le fut à vivre. De demandes de bourse d’excellence en demandes de bourse d’excellence, de cours à donner en cours à donner, de textes à rendre en textes à rendre et même de lectures insignifiantes en lectures insignifiantes, mon esprit était devenu aussi empoissonné qu’une terre agricole surexploitée nourrie au Roundup. Je n’arrivais plus à sortir quoi que ce soit de moi.
Non pas que j’aie perdu mon temps en explorant mille programmes. Non, je n’ai pas exploré mille programmes. Non, je n’ai pas perdu mon temps. C’est plutôt que mon parcours a nécessité du temps, avec comme principaux jalons, un bac commencé tard puis presqu’entièrement fait à temps partiel, une maîtrise à temps partielle abandonnée puis reprise à temps plein dans un puissant second souffle et, finalement, des études doctorales qui devaient durer quatre petites années, mais qui n’ont cessé qu’après six années difficiles au cours desquelles j’ai néanmoins livré un Diplôme d’Études Approfondies français à Lyon 2 (DEA) -ou si vous voulez, une deuxième maîtrise en équivalence québécoise. Trop longue, la dernière phrase est bien exigeante à lire: le cheminement qu’elle relate le fut à vivre. De demandes de bourse d’excellence en demandes de bourse d’excellence, de cours à donner en cours à donner, de textes à rendre en textes à rendre et même de lectures insignifiantes en lectures insignifiantes, mon esprit était devenu aussi empoissonné qu’une terre agricole surexploitée nourrie au Roundup. Je n’arrivais plus à sortir quoi que ce soit de moi.
Combien d’années sont nécessaires pour qu’une terre exploitée au Roundup redevienne seine? Moi j’ai eu besoin de dix années. N’exagérons rien, j’ai fait des choses stimulantes depuis. Mais dix ans c’est le temps qu’il m’a fallu afin que ma curiosité pour mon ancienne discipline chérie repousse timidement dans le champ de mes idées. Pas question pour autant de reprendre mes études. Oh que non! Loin de là! Par contre, j’arrive maintenant à sourire en repensant à ce que je faisais à l’époque. J’ai même été capable de relire mes textes qui ont été publiés. Aujourd’hui, loin de la discipline, je les trouve d’ailleurs pas mal du tout, «pas pire pantoute», au point où j’ai envie de les ressortir des boules à mites et de les partager ici, doucement, en cette contrée attilienne sur laquelle je règne en maître absolu et incontesté.
Le premier texte que je présente a été rédigé de manière plutôt irrévérencieuse lors du dernier séminaire de doctorat auquel j’ai participé il y a de cela presque mille ans. Le thème de ce séminaire: les années 60. Pas simple pour le médiéviste en devenir que j’étais alors. Avec le support de la professeure, je me suis permis de faire le copieux bilan historiographique dont je rêvais depuis la fin de mon bac. Son thème: la genèse de l’État moderne… autour des années 60, bien entendu. J’étais affamé et me suis délecté de toutes ces lectures qui me faisaient envie sur un sujet qui me passionnait.
Il est relativement rare qu’un travail effectué lors d’un séminaire soit publié par un périodique reconnu. Je n’en dis pas plus long au sujet de cette recherche, sinon que le comité scientifique du Bulletin d’histoire politique, où il a été publié, a accordé un accueil très chaleureux au texte que je leur ai soumis. Aucune correction n’a été demandée, sinon qu’en raison de l’ampleur du dossier, on m’a demandé d’en faire un diptyque, ce qui ne me posait aucun problème. S’il est relativement rare qu’un travail scolaire de cet ordre soit publié, il n’est vraiment pas commun qu’un tel travail donne lieu à deux articles. Ceux-ci ont été publiés aussi vite qu’il était possible de le faire, quitte à bousculer d’autres auteurs, ce qui est somme toute rarissime dans le milieu de la recherche en sciences humaines. À une introduction près, il s’agissait d’un «copier-coller» du texte que j’avais remis à la fin du séminaire. Voici l’introduction originale. Les articles publiés sont accessibles en version pdf. Je vous intrigue peut-être? Alors je vous souhaite une bonne lecture.
Une dernière chose. Une erreur s'est glissée dans la mise en page de l'introduction du premier article. La vraie introduction se trouve dans la note de bas de page du second article. Et oui, ça arrive même chez les scientifiques...
Une dernière chose. Une erreur s'est glissée dans la mise en page de l'introduction du premier article. La vraie introduction se trouve dans la note de bas de page du second article. Et oui, ça arrive même chez les scientifiques...
Notices bibliographiques et articles en version PDF
Introduction originale
Dans un livre récent, Arthur Marwick, voulant illustrer l’importance des transformations culturelles qui se sont produites durant les années soixante, n’hésite pas à utiliser une expression très forte et très parlante; pour lui, la période aurait été le moment d’une «mini-renaissance». L’analogie est d’autant plus intéressante qu’à l’instar de la Renaissance qui mit un terme à la «sombre» période médiévale, les années soixante auraient eu des effets durables sur le développement de l’ensemble de la société que nous connaissons depuis lors. Culturelle, juridique, intellectuelle et sociale, cette renaissance du XXe siècle aurait été tout cela et même plus puisque pratiquement aucune composante de la vie sociale n’aurait été épargnée par les chambardements, pas même la façon d’envisager l’action politique. En effet, comme l’a souligné Yolande Cohen à propos des mouvements étudiants en France et en Allemagne, le pouvoir politique sortit des officines de l’État pour se matérialiser dans l’action des groupes de pression que devenaient les mouvements de la rue. La politique s’ouvrait, peut-être malgré elle, aux revendications de groupes sociaux jusque-là considérés comme marginaux. Or, ne peut-on pas croire que les transformations qu’a entraînées la période dans la façon de concevoir le politique ont pu contribuer à modifier la façon dont l’histoire de la politique a été abordées? Dans les pages qui suivent, en nous limitant au traitement historiographique de l’État de la fin du Moyen Âge, nous proposons une réponse partielle à cette question.
Les questions à la base de ce travail sont simples: de quelles façons les transformations culturelles -au sens large- qui se sont produites durant les années soixante ont-elles influencé la recherche dans le domaine spécifique de l’histoire de l’État médiéval? Peut-on repérer un changement de paradigme dans les travaux portant sur l’État médiéval produits depuis? Dans l’hypothèse où cela serait le cas, comment pourrait-on baliser cette transformation? À ce jour, malgré un intérêt récent accru pour la démarche historiographique, ces questions n’ont toujours pas, à quelques exceptions près, attiré l’attention des chercheurs. Apporter des réponses complètes à de telles questions nécessiterait un travail dépassant largement les objectifs de ce cours. Pour cette raison nous limiterons la présente recherche au seul cas de l’histoire de l’État français de la fin du Moyen Âge. Cette réduction de l’objet d’étude apparaît d’autant plus justifiée que le cas français a toujours été considéré par les chercheurs, conjointement avec celui du royaume d’Angleterre à la même époque, comme une référence ayant servi de modèle de développement aux États voisins de la même époque. De même, afin de mieux regrouper les analyses, l’historiographie couverte se limite à deux courants nationaux dominants, faciles à identifier et apparemment autonomes, c’est-à-dire les recherches menées aux États-Unis et en France. En fait, cette prétendue autonomie cache une réalité historiographique complexe faite d’échanges et d’emprunts qui passent largement inaperçus. Comme nous le montrerons, sous une apparente continuité chronologique de la recherche sur l’histoire de l’État français de la fin du Moyen Âge se cache un réel point de rupture au sortir des années soixante. Cette rupture apparaît d’autant plus marquée que ses retombées se font sentir de part et d’autre de l’Atlantique. Alors que le début des années soixante-dix marque la chute radicale du niveau d’intérêt pour l’histoire de l’État médiéval aux États-Unis, la période voit l’éclosion, ou plutôt la résurgence, du même thème chez les historiens français.
Nous nous intéresserons d’abord aux recherches des historiens américains en les regroupant par «école d’interprétation» en fonction des principaux thèmes de leurs travaux et de leurs assises méthodologiques. La même démarche sera ensuite appliquée à la recherche française. Toutefois, l’historiographie française de l’État médiéval français retiendra plus longuement notre attention. Dans une dernière étape, nous nous interrogerons sur la dynamique qui a animé le regain d’intérêt pour cet objet d’étude en France. Comme nous le verrons, l’étude de l’État médiéval français est devenu en France, l’objet d’un enjeu au sujet de la mémoire, non pas de la mémoire nationale, comme cela fut le cas au XIXe siècle, mais bien d’une mémoire historiographique.
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