Avec pas de vélo



Des fois je ne parle pas de vélo. C’est rare, mais ça arrive. Voici une de ces fois. 

En ce moment c’est la saison des «défis». Du moins sur les médias sociaux. En général je n’aime pas ces défis que je juge insipides et dont les fondements demeurent non exprimés. Le «Ice Bucket Challenge» me vient tout de suite à l’esprit même si c’était pour une bonne cause. Donner c’est correct, mais pourquoi en faire un processus de construction identitaire? Et tout un chacun de se dire: quoi? Donner est un geste qui permet de se définir comme individu? Et oui les amis, ne le saviez-vous pas? Peu importe. C’est pas grave. Mais ces derniers jours un défi d’un autre ordre a fait son apparition dans le fil d’actualité de mon compte Facebook. Je le cite en entier:

«Dressez la liste de dix livres qui vous ont marqué à une époque ou une autre de votre vie. Pas forcément des chefs d'œuvre, simplement des ouvrages qui vous ont accompagné au bon moment, touché, ému, ou encore fait rire». 

J’ai été nommé, je suis un homme de défi, voici ma liste.

Notes of a Dirty Old Man  ou –au choix- peut-être Tales of Ordinary Madness de Bukowski, parce que ces lectures ont changé ma façon d’envisager l’écriture. Ça fait peut-être un peu hautain et prétentieux d’avoir une façon d’envisager l’écriture? Bof, je m’accepte comme ça depuis le temps.

Frédéric II de Ernst Kantorowicz, une biographie écrite par un grand historien juif allemand sous influence romantique nazie. Ça a été écrit sans aucune note de bas de page, ça se lit comme un roman fleuve –même en traduction française– et pourtant on ne peut jamais douter de l’érudition sans limite de l’auteur. Cette lecture m’a terrifiée presqu’autant qu’elle m’a enivrée. Ça peut être beau un livre écrit par un vrai historien. J’ai déjà eu envie de devenir un vrai historien et «Kanto» était un solide modèle.

L’Essai sur le don de Mauss. C’est en fait un long article «scientifique» écrit sans ambages par celui qui a été qualifié de «sociologue de cabinet»  par ses collègues qui le dénigraient parce qu’il n’aimait pas le travail de terrain. Je découvrais l’horrible travail dans les archives quand j’ai lu Mauss et je me disais que je n’aurais aucun mal à devenir un «historien de cabinet»… quitte à écrire de la merde. En passant, si vous ne saviez pas que le « Ice Bucket » est un processus de construction identitaire, je vous conseille Mauss.

Interaction Ritual: Essays on Face-to-Face Behavior d’Erwin Goffman. Si la découverte de Mauss m’a conforté dans ma détestation des archives, la lecture de Goffman a tué mon objet de recherche au doctorat. Après lui l’étude du rituel n’avait plus de sens pour moi puisque tout dans la vie n’est fait que de rites d’interaction. Je découvrais les merveilles de la grille d’analyse de Goffman tout en prenant mon bain. J’ai failli me noyer.

Tout n’est pas que douleur dans mes lectures. Quelque chose de positif qui m’a ému presqu’aux larmes: Laelius de Amicitia, de Cicéron. Chaque fois que je repense à ce texte je me revois dans le train de nuit menant vers Lyon, assis sur ma grosse boîte jaune de transport de vélo. Toute la nuit autour de moi des militaires fumaient des clopes, une grosse mamie portugaise marmonnait et moi je dévorais des idées délicieusement développées au sujet de l’amitié, regardant tantôt en latin, tantôt en français –vive les éditions bilingues-, par mon auteur latin préféré. En avez-vous, vous, un auteur latin préféré? Ok, c’est hautain et prétentieux. Bon, aussi, ce livre me fait penser à mon amie Virginie, celle qui m’a dit avec à-propos que «Cicéron, c’est pas carré». Elle a terminé sa thèse, moi non. 

De Nabokov, je cite L’Enchanteur, un tout petit roman, ou un nouvelle surdéveloppée, publié après la mort de l’auteur par son fils -je crois. L’Enchanteur est le test de laboratoire qui a mené par la suite à Lolita. Ce que construit Nabokov est exaltant au point qu’on en oublie presque le propos. Après tout, le héros est un agresseur sexuel. En lisant ce texte je me suis étonné que même le récit d’une histoire immorale gagnait à être fait de manière poétique dans une belle narration douce et légère. Une leçon de détachement.  

Kundera, L’Insoutenable légèreté de l’être. Je me rappelle avoir lu ça durant une fin de session au lieu d'étudier pour mes examens. J’avais un cours d’histoire de l’Europe contemporaine et je me dédouanais de ma procrastination visqueuse en me disant que Kundera me rapprochait des questions que j’avais à préparer. Non mais y’a des tanks soviétiques dans cette histoire-là. Ça compte. J’ai eu «A» à l’examen et au cours. Il n’y avait pas d’A+ à l’UQAM à l’époque. Merci le Printemps de Prague.

Le Maître et Marguerite de Boulgakov. Du pur délire! Une histoire tordue comme une couleuvre écrasée en bordure de la route. Tordue au point de confondre les censeurs soviétiques. De mémoire, je crois avoir lu Le maître et Marguerite durant la première année que j’ai travaillé en communication chez Argon 18. J’adorais le chat Béhémoth, le précurseur annonçant l’intervention du diable. A posteriori je crois que je m’identifiais beaucoup à ce gros chat malfaisant. 

Maryse de Francine Noël. Voici un titre assez peu connu je crois. Ce roman québécois des années 80 dresse un portrait sociologique précis de la société québécoise des années 70. C’était une lecture imposée dans un cours de français au cégep. Comme quoi des fois les lectures imposées ça peut être bon. J’étais étudiant en marketing et je rabaissais tous les personnages au rang de personas!

Le Trésor de Rackham le Rouge. Un Tintin! Bien entendu, je n’ai pas commencé à lire à l’université! Le Trésor, je l’ai acheté à l’âge de 8 ans, lors d’une foire du livre organisée dans le tout petit gymnase de l’école Jean XXIII où j’étais un élève que les professeures aimaient beaucoup parce que j’étais «gentil et poli». Au premier jour de la foire j’ai instantanément adoré toutes les étales et tous les livres: quel foisonnement, tout ça à lire! Les objets étaient si beaux, il m’en fallait un. Le lendemain, après avoir ramassé tout ce que j’avais comme argent -mon trésor- j’ai fait l’achat de mon tout premier livre: Le Trésor de Rackham le Rouge. J’ai une copie de ce livre, mais ce n’est pas celui que j’ai acheté lors de la foire. Non, celui-là j’ai dû le retourner le lendemain. Ma mère, qui n’avait pas autorisé mon achat m’a grondé quand je suis rentré de l’école et que je lui ai montré mon «gros livre». Peu importe, c’est pas grave, je l’ai racheté.

À qui pourrais-je bien lancer un défi des livres maintenant? 

À moins que j’attende de me crisser une chaudière d’eau frette sur la tête pour lancer mes défis? Bah, ce serait hautain et prétentieux.

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