Fascinant
J’avais commencé à travailler sur un autre sujet, mais parfois l’actualité nous fait dévier de la trajectoire qu’on pensait suivre. Dans le cas présent, c’est l’événement qui a eu lieu samedi dernier sur la Piazza del Campo, à Sienne, qui altère ma course. Rassurez-vous, bien que la région soit en plein épisode de pandémie aiguë et que toutes les familles n’en finissent plus de compter leurs morts de la dernière année, ce n’est pas le virus qui a attiré mon attention. Alors pour être très précis, ce qui m’intéresse, c’est ce qui s’est passé environ 400 mètres avant le virage qui mène à la Piazza. Vous avez suivi la Strade Bianche? Qu’elle était belle la campagne toscane et qu’il semblait doux le soleil de ce printemps italien. Pour nous, Québécois encore coincés dans la banquise, les images relayées par la télé relevaient du rêve. Et ce démarrage de Mathieu van der Poel, vous l’avez vu? Si vous l’avez vu, vous savez qu’il est plus juste de parler de « décollage ».
La saison des classiques ne fait que commencer, mais déjà l’événement revêt le caractère unique propre aux moments historiques. Celles et ceux qui comme moi l’ont vu se rappelleront où ils étaient quand MVDP a mis le moteur à fond. Et retenons-nous de tout vilains jeu de mot déplacé, je vous prie. Retenons nos sarcasmes un court moment. Après tout, les nouveaux champions d’aujourd’hui, tel Bernal ou Alaphilippe, respectivement fier troisième et preux second sur les routes italiennes derrière la fusée néerlandaise, sont par leur parcours et leur hargne les fers de lance d’une nouvelle renaissance pour le cyclisme mondial.
Mais revenons à samedi dernier. Tenez, pour l’histoire, quand le décollage de MVDP s’est produit, j’étais chez moi, en robe de chambre, bien au chaud, le derrière sur mon divan, bouche bée. Je ressemblais un peu au Big Lebowski, mais en plus propre. Imaginez le Dude se préparant à faire 90 minutes de spinning sur son smart trainer et vous aurez le portrait. J’attendais pourtant la manifestation de puissance de MVDB depuis que j’avais su qu’il allait s’aligner au départ de la plus jeune des classiques. J’étais préparé pour une immense démonstration de force, surtout qu’il avait littéralement déchiré son guidon de carbone en pleine course quelques jours auparavant, provoquant un rappel mondial instantané du modèle de guidon que lui fournissait son sponsor. Et c’est vrai en plus, pour le rappel.
Et pourtant, oui pourtant, quand la mise à feu s’est produite à quelques mètres de la dernière grande place publique typiquement médiévale de la Toscane, je suis resté pantois. À qui veut le décrire, cet effort est pratiquement impossible à saisir, aussi, tel Charles Tisseyre arrivant au bout de la connaissance humaine vaut-il mieux recourir à un mot appartenant au registre de l’émotion: «fascinant». L’effort produit par MVDP était tout simplement fascinant.
C’est que, petit-fils du champion de légende Raymond Poulidor et fils de l’ex-champion du monde Adri van der Poel, MVDP est une bête rare, un pur-sang avéré doté, en plus, d’une volonté de fer et d’une agilité de funambule. Mais, oui il y a un «mais». C’est que quand on les regarde froidement, on en arrive -quand même- à douter des statistiques de puissance que son équipe a dévoilées aujourd’hui. Jugez-en:
À une autre époque, disons dans les années 80, Bernard Hinault parvenait à sortir une performance magique de son chapeau quand la situation l’exigeait. Personne alors ne cherchait à expliquer cette performance magique. Hinault, champion d’exception, homme de la terre, marchait à l’honneur et faisait preuve de panache. Il avait un caractère sanguin et il lui arrivait d’y aller d’un bon gros coup de gueule. Tout était dit une fois que ces explications étaient écrites.
Puis les années 90 ont généré des performances extraterrestres: Rominger, Indurain, Pantani, Virenque, Ullrich, Jalabert et les autres, tous des athlètes hors norme que très peu de données quantifiables solides venaient ébranler. Ensuite il y a eu Lance, le miraculé. Mais à l’époque de Lance les chiffres de puissance mieux étayés ont commencé à percer l’omerta du milieu. En réalité les données produites par les experts demeuraient bien difficiles à interpréter pour les fans et la plupart des guerriers du week-end, dont je faisais partie, continuaient à rouler au panache, à rêver aux extraterrestres ou encore aux miraculés. Notre ignorance candide nous aveuglait.
Les chiffres de puissance annoncés pour baliser la performance de MVDP en Toscane le week-end dernier sont bien en phase avec ce que nous avons vu de la bête. Mais maintenant, maintenant après plusieurs saisons à mesurer nos watts avec un gadget ou un autre sur toutes les routes où l’on roule, après tant d’hivers passés à tourner comme des hamsters sur Zwift, quel guerrier du week-end va venir me dire, sans rire, qu’il croit à ce qui s’est passé samedi dernier à 400 mètres avant le virage qui mène à la Piazza del Campo?
S’il s’en trouve un pour le faire, ce sera à n’en pas douter un individu fascinant.
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