Mon jubilé de dix ans: les registres de comptabilité
Dans la courte série Mon Jubilé de 10 ans, je suis heureux de partager quatre textes scientifiques publiés entre 1999 et 2011. J'insiste sur leur nature scientifique, puisqu'il y a bel et bien de la recherche scientifique qui se fait en histoire, comme en sciences humaines en général d'ailleurs. J'insiste aussi sur le mot «texte», mais en réalité il serait plus juste d'utiliser le mot «article», bien que pour la plupart des gens ce mot réfère à un texte de moins de 400 mots publié dans un quotidien ou un hebdomadaire. Un article scientifique en histoire est long d'environ 10 à 20 pages qui, pour des raisons de démonstration, sont constellées d'au moins une quarantaine de notes de bas de page qui viennent supporter l'argumentaire développé. Les textes que je présente ici respectent ces standards.
Ces deux mises au point maintenant faites, on peut se demander pourquoi regrouper ces quatre articles ici. Leur dénominateur commun tient à la matière première qui a servi à alimenter mon travail: les sources. Pour plusieurs, l'Histoire est une suite de «faits historiques» que les historiens se contentent de trouver de manière quasi surnaturelle pour ensuite écrire de belles histoires -si par bonheur ils ont une bonne plume. Tant s'en faut. À l'instar du pétrole qui imbibe le sable butimineux et qui est loin d'être prêt à la consommation, la matière brute contenue dans les registres, chartes et autres documents médiévaux exigent un gros travail de «raffinage» avant de livrer sa valeur. Pour les articles qui suivent, les sources utilisées sont des documents comptables inédits rendant compte de la gestion des états qui les utilisaient et le processus de raffinage devant être développé pour en tirer profit est plutôt lourd.
Il faut d'abord faire avec l'aspect linguistique. Ne lit pas qui veut un document manuscrit du XIVe ou du XVe siècle. Comme mes recherches portaient sur l'espace français de la fin du Moyen Âge, la Provence et le Dauphiné, les sources sont le plus souvent écrites en latin ou en français moyen. Il n'est pas rare que les deux langues se côtoient dans un même passage, tout en étant parfois agrémentées d'une variété ou une autre de provençal, surtout lorsque le texte relate un témoignage livré oralement.
Ensuite il faut savoir tenir compte de la nature particulière des documents. Alors que beaucoup de chartes anciennes, précieuses et uniques, ont été éditées depuis le XIXe siècle, les documents comptables que j'utilisais n'ont pas mérité une telle attention. Et pour cause. Disponibles encore aujourd'hui en relativement grande quantité, ils ne relatent le plus souvent que des phénomènes juridico-administratifs peu impressionnants en eux-mêmes. Pour certains, on les rangerait volontiers dans la catégorie des petites paparesseries administratives. Sauf qu'une fois mis en série et éclairés par la lumière fournie par l'anthropologie et la sociologie, les témoignages que les documents sont en mesure de livrer au sujet des administrations anciennes, de leurs valeurs et de leur rationnalité, en font de petits trésors, à condition bien entendu de faire preuve d'esprit critique et de compétence en regard des règles et objectifs qui ont mené à leur élaboration puis à leur préservation. En gros, il faut tenir compte du contexte large de l'époque et du contexte étroit du fonctionnement de l'administration qui les a produits. Facile.
Le contenu deux premiers textes a été tiré de la recherche qui a mené à ma maîtrise. Cette dernière portait sur un aspect flamboyant du fonctionnement de la justice dans le comté de Provence au XIVe siècle. Misant sur une belle série de quelque 150 documents comptables, j'ai travaillé sur les exécutions judiciaires et les attentions qui étaient réservées aux grands responsables de ces rituels déterminant pour l'affirmation de l'État : les bourreaux. On entend souvent en milieu universitaire qu'une «bonne maîtrise» peut donner lieu à un article convenable. Désirant inscrire ma maîtrise dans cette catégorie, j'ai soumis un article à Memini, un périodique scientifique Québécois, qui tout en me demandant quelques corrections, a néanmoins accueilli mon texte avec empressement. Ce dont je ne me doutais pas, c'est qu'après cet article initial, j'allais être invité à présenter d'autres aspects de ma maîtrise lors d'un gigantesque colloque international consacré au «petit peuple dans la société médiévale». Mes bourreaux méritaient certainement une place au sein de la masse imprécise des gens du commun de l'époque. Ce second article est devenu mon premier texte publié aux Publications de la Sorbonne.
Le troisième article, et le second publié aux Publications de la Sorbonne, est un travail commandé et sans aucun lien avec mes propres intérêts de recherche d'alors. Un nouveau colloque gigantesque destiné à nouveau à être très bien publié s'organisait et on ma invité à parler du Dauphiné que je découvrais à peine. Comme pour le thésard que j'étais toute occasion d'être publié méritait mon attention, je ne pouvais pas refuser. La commande est devenue un article plutôt sans intérêt sur les messagers du Dauphiné durant les années qui suivirent le rattachement de cette terre d'empire au royaume de France. Je n'ai livré rien d'innovant. C'était du travail de tâcheron et je le savais, mais à la suite d'une besogne faite selon les règles de l'art, j'ai livré un article honnête.
Finalement le dernier article que je présente ici est celui des quatre qui me plaît le plus aujourd'hui. Publié dans les pages des Annales du Midi, un ancien et prestigieux périodique scientifique français, ce texte est le résultat d'une collaboration très fructueuse avec Jean-Luc Bonnaud, un collègue avec lequel j'ai eu le plaisir d'échanger longuement au sujet du fonctionnement financier de l'état provençal du XIVe siècle. C'est au fil de nos discussions que l'idée de cette recherche est apparue. D'abord présenté lors d'un colloque organisé en 2002 autour du thème de la «crise du XIVe siècle», un sujet particulièrement théorique et alambiqué, l'article a finalement été publié en 2011, c'est-à-dire six ans après l'arrêt de mes recherches. Il faut croire que les réflexions originales et le travail bien fait finissent toujours par mériter une diffusion. Bien entendu, que mon co-auteur soit dans l'intervalle devenu un chercheur renommé, professeur à l'Université de Moncton, peut avoir ouvert quelques portes. Je lui en suis très reconnaissant.
Notices bibliographiques et articles en version PDF
- (co-auteur avec Jean-Luc Bonnaud), « Les crises du XIVe siècle et la gestion d’un État: les revenus de la justice en Provence » dans Annales du Midi. Revue de la France Méridionale, t,123, n. 273, janv-mars 2011, pp.9-25.
- « Messagerie, communication organisationnelle et informations stéréotypées dans les comptes des receveurs généraux du Dauphiné, 1355-1370 » dans Information et société en Occident à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 2004, pp.247-259.
- « Les exécutions publiques en Provence au XIVe siècle : un usage répressif en évolution» dans Memini. Travaux et documents, no.3, 1999, pp.71-90.
Pensez-vous qu'un médiéviste se cache en vous? Amusez-vous un peu à lire ce qui suit.
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