L'appel de la route III



(L'appel de la route II)


Banes bis


Enthousiasmés par la route d’hier, on repart vers Banes avec l’objectif de s’en rapprocher plus. Une fois passé les hôtels de Guardalavaca et leur plage blue-lagoon-esque, on bifurque vers l’intérieur des terres. Là, la route devient vraiment superbe tandis que le trafic se fait plus rare. La route traverse un espace agricole bien entretenu et vallonné. Ça monte et descend sans arrêt. Heureusement que les bosses sont courtes parce qu’elles sont un peu abruptes pour moi à ce moment. À chaque fois que je tente de pousser avec un peu d’insistance, mes cuisses se contractent douloureusement sans accepter de livrer la puissance qui serait équivalente à la sensation perçue. J’ai hâte que le ratio s’inverse. Il faut que je sois patient, ce qui n’est pas un trait dominant de mon caractère.


Les champs de canne succèdent aux plantations de bananes. Les paysans sont actifs ici. Ils doivent être fiers puisque les fossés sont bien entretenus, les clôtures sont droites et les bêtes qu’on voit dans les champs sont moins maigres qu’ailleurs. Pourtant une chaleur suffocante règne ici. Comment font ces hommes portant des bottes de pluie en caoutchouc pour travailler aussi fort sous un soleil de plomb? Sur notre passage, ils relèvent la tête, l’air perplexe, donnant l’impression de se dire: mais pourquoi ces Canadiens viennent-ils volontairement rouler ici sous cette chaleur ?
Impossible de prendre une photo en ce pays embrumé par l’humidité. D’ailleurs, il est un peu paradoxal que nous passions notre temps à chercher les points d’eau en ces lieux visiblement si bien arrosés. L’eau! Toujours la recherche de l’eau! Arrivés près de Banes on tombe sur un cycliste de chez nous qui roule seul et qui cherche à se rafraichir sous le petit part-soleil d’un « dépanneur ». Cet homme qui utilise ce qui est certainement le deuxième vélo de Bradley Wiggins et qui est sapé comme s’il courait avec lui chez Sky grogne: « fait trop chaud », « y’a trop de vent », « la route est maganée », « les chars puent », « les côtes sont trop raides », « c’est dur de trouver de l’eau pis est tout le temps chaude ». On est assis là, lui et nous, sous le même paravent et sur le même muret de ciment, nous heureux et rieurs, lui ronchon et malcommode. À l’écouter se lamenter, sa vie est ratée et son voyage est une tragédie. Dans son incapacité à trouver du bonheur, cet homme me fait pitié. J’ai le goût de lui asséner une bonne gifle pour tenter de rebooter son système d’exploitation. À la place, je lui dis: « mon gars, j’te connais pas, mais si j’te connaissais, je te donnerais une tape sur le casque et je te dirais d’apprécier ce qui est autour de toi en ce moment ». Je lui ai donné une petite tape sur le casque et on est parti en riant. Il peut bien rouler tout seul celui-là.



Mercredi paresseux


Ce matin je me suis laissé décrocher dans les faux plats. Notez que je me suis laissé décrocher: je ne me suis pas fait décrocher. Y’a une nuance. Quand tu te fais décrocher, c’est tes jambes qui flanchent. Quand tu te laisses décrocher, c’est ta tête. Les paysages n’était pas particulièrement beaux, mais ils étaient suffisamment dépaysants pour qu’un gars de Montréal, comme moi, leur consacre son attention. En roulant vers Holguin j’ai spotté une vieille raffinerie de mélasse au bout d’un petit chemin menant nulle part ailleurs. Avec les copains on s’est dit que cette vieille relique industrielle d’un autre âge méritait une petite visite quand on serait sur le chemin du retour. Au retour on manquait d’eau, on ne s’est pas arrêté.


C’est bien pour dire, mais le cycliste malcommode croisé hier avait peut-être raison: il fait vraiment très chaud. Comme le disent les commentateurs du Tour de France à la télé, les organismes souffrent. Le mien en tout cas souffre et exige que je roule doucement. Je n’ai aucun problème à rouler doucement, surtout que ce n’est que le début de saison et que je suis en vacances. Le rythme vacances commence d’ailleurs à prendre le contrôle sur moi. Les indices ne manquent pas. D’abord ma grosse montre reste dans ma chambre depuis hier. Puis la foulée de mes pas s’est raccourcie et mes gougounes génèrent de plus en plus de bruit quand je me déplace. Bientôt je sens que je serai peut-être capable de m’allonger à la plage comme les phoques le font dans le parc du Bic.


Pour l’instant par contre je m’en tiens à la petite terrasse aux fauteuils en osier. Les vieux qui lisent font moins de bruits que les monstrueux ontariens bruyants et ivres qui ont choisi le bord de la piscine comme lieu de pâturage. Quelle horde de barbares. Eux, ils étaient gros et blancs à leur arrivée et ils seront énormes et rouges à leur départ. C’est vers eux que les compagnies aériennes devraient se tourner pour augmenter leurs revenus: le gain de poids de ces monstres durant leur séjour devraient leur être facturé. Je dis ça sans jugement. C’est chacun ses plaisirs. On me fait bien payer des frais additionnels pour transporter mon bike, on pourrait les faire payer eux aussi.



Juste un nuage


À vrai dire, j’aime pas rouler le matin. Le matin mon corps fonctionne pas. Ça date pas d’hier. Certains de mes vieux profs du secondaire avaient compris ça et, comme j’étais bon élève, ils toléraient mes «siestes» lors du premier cours de la journée. Peut-être étaient-ils eux-mêmes affligés par ce handicap? Il n’y a certainement pas que moi dans cette situation?


Ce matin mon corps ne fonctionne justement pas. Pas d’appétit, mal aux jambes, le draps étampé dans le visage et sur tout le corps. Je ne sais pas si c’est en lien avec la pluie qui tombait, mais la nuit a été dure et à l’évidence je tirerais un très grand profit de quelques heures additionnelles de sommeil. Il est 7h30 et quand je les rejoins, les copains ont déjà enfilé leurs vêtements pour rouler. Ils sont là autour de la table du petit-déjeuner. La scène a quelque chose de surréel. Ils ressemblent à des super-héros d’une nouvelle BD de Marvel se préparant à aller sauver le monde. Le déclic se fait d’un coup: j’ai plutôt la tête du méchant. Et il n’est pas d’humeur à se chamailler avec des super-héros. Alors prétextant qu’une chaussée mouillée et assurément dangereuse, je me déclare inapte au combat et retourne me coucher. Parfois de toutes petites décisions engendrent un très grand bonheur. J’ai rapidement classé celle que je venais de prendre dans cette catégorie: durant ma sieste du matin il s’est mis à pleuvoir. Je n’aime pas rouler le matin, mais j'ai en sainte horreur de rouler le matin sous la pluie. « J’irai rouler en après-midi s’il fait beau »: voilà ce que je me suis dit avant de m’enrouler dans mes draps avec l’espoir de faire de doux rêves.


Les copains sont rentrés tôt, un peu écoeurés, mais joyeux. Au moins la pluie était fine et chaude. Tant mieux pour eux. Quand je leur ai annoncé que je pensais sortir plus tard en après-midi, Mathieu McGyver s’est porté volontaire pour m’accompagner. Il n’avait pas eu sa dose réglementaire d’asphalte.


On a pris la route vers 3h alors qu’il faisait gris foncé, mais la route n’était pas mouillée. En raison de l’humidité ambiante nos muscles auraient été mieux oxygénés si on avait eu des branchies plutôt que des poumons. C’était l’fun de rouler avec Mathieu. Il est puissant et sait doser la puissance que son énorme moteur diésel génère pour maintenir une cadence constante. Moi, mes jambes tournaient bien. Très bien même. Mes pulses montaient et rechutaient sans retard. J’en étais surpris, mais au fond ce n’était qu’une autre preuve que je souffre d’un handicap matinal. On n’a pas jasé gros et d’un relais à l’autre on a fait une petite boucle de 40 ou 50 km. Comme je n’ai même pas de compteur, j’en sais rien à vrai dire. Fuck les datas, je suis vraiment de plus en plus en vacances.


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