Voyeurisme particulier II
D'habitude je profite du samedi pour rouler, quand le temps est doux, ou pour aller au gym, quand le temps est rugueux. Aujourd'hui ce serait une journée "gym". Mais depuis mon retour de Majorque je ressens une sorte de fatigue mentale et je n'ai pas le goût de m'entraîner. Donc j'ai mis en pause toute forme d'activité physique pour un court moment. L'envie de bouger reviendra, c'est certain, mais pas maintenant. Si j'étais une terre agricole, ce serait ma période de jachère, un petit répit que l'agriculteur éclairé accorde à sa propriété pour être capable de l'exploiter encore plus... plus tard. Donc forcer et suer, je ferai ça... plus tard. Ceci dit, jachère ou pas, comme tous les samedis, aujourd'hui je me sentais obligé de sortir, de faire quelque chose de ma journée. J'ai opté pour des activités reposante: écrire. Pas besoin de sortir, il fait un temps de misère anyways, écrire, c'est bon plan.
Non mais pourquoi sortir? Pourquoi bouger? Comme on a déjà mis le chauffage à la maison, la place est tempérée, l'humidité demeure sous un seuil acceptable et je suis équipé de toutes les couvertures nécessaires pour passer une belle journée écrasé sur mon divan avec mon laptop. En plus, indice que l'ambiance est confortable, Guilda, le gros chat qui parasite notre appartement et qui nous tyrannise ma chérie et moi, se prélassait déjà dans le tas de couvertes. Quoi de mieux que des ronrons de chat pour nous accompagner vers une sieste d'automne? Justement, je ne voulais pas dormir! Je voulais écrire ! Alors pas le choix, tant pis pour la pluie et le temps rugueux, il fallait sortir.
En bon plateaupithèque de base, je me suis donc lancé à la recherche d'un petit café sympa qui aurait assez de place pour m'accueillir moi et mon laptop. Je me disais que ce ne serait pas si difficile parce qu'il y en a plein dans le quartier. Ben vous savez quoi? Des cafés, il n'y en a pas tant que ça dans le quartier quand le temps est rugueux! J'aurais peut-être dû aller au gym finalement. Quel apprentissage. Je ne savais pas moi que le temps rugueux qui me pousse généralement au gym aiguille vers les troquets du Plateau tout le petit monde qui a l'habitude de prendre l'air dehors le samedi.
J'ai quand même réussi à trouver un petit trou où je me suis calé et où j'ai pu poursuivre ce que j'avais entrepris il y a quelques mois : le démêlage de mes photos de vos vieux vélos que je croise du regard quand je marche à Montréal. Vous ne savez pas de quoi je vous parle? Pas de problème, c'est que vous avez manqué ma première chronique sur ce sujet. Vous verrez, c'est magnifiquement écrit et c'est plein de belles photos:
Voyeurisme particulier, 1ere partie
Avant d'aller plus loin, prenez un moment pour vous recueillir. Oui, c'est le moment de le faire. Ce que vous vous apprêtez à voir, ce sont des reliquats d'un autre temps. Tous ces vélos accrochés tout de travers à des poteaux, des bancs de parc ou clôtures de taverne vivent sur du temps emprunté. Ils vivent dehors, sont mal entretenus, mal aimés par des propriétaires qui les ont pourtant achetés parce qu'ils ont déjà été de bons vélos. Me semble que pour les usages destructeurs il devrait rester suffisamment de vieux Vélo Sport, Tour du Québec, Leader, CCM, Norco, Miele et autre Fiori pour satisfaire à la demande d'aujourd'hui. Pourquoi transformer des vélos d'artisans en vulgaires beaters? C'était ma minute de sensibilisation. Je fonderai l'organisme de défense des vieux vélos d'exception bientôt. Promis.
À oui, encore une chose. Le vélo sur la bannière en haut, c'est un Argon 18 en Cromor qui date environ de 1994-1995. C'est probablement moi qui l'ai monté dans le temps. Aujourd'hui il est tout picoté de rouille et à sa mort -qui ne saurait d'ailleurs tarder- plus aucun de ses organes ne vaudra la peine d'être prélevés. Dire qu'on leur faisait si attention quand on les avait dans la shop...
À oui, encore une chose. Le vélo sur la bannière en haut, c'est un Argon 18 en Cromor qui date environ de 1994-1995. C'est probablement moi qui l'ai monté dans le temps. Aujourd'hui il est tout picoté de rouille et à sa mort -qui ne saurait d'ailleurs tarder- plus aucun de ses organes ne vaudra la peine d'être prélevés. Dire qu'on leur faisait si attention quand on les avait dans la shop...
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1- Moser ou le glam du "chromovelato"!
Un Moser. Si en lisant ce mot vous n'avez pas ressenti une impression de pure vitesse, si vous n'avez pas vu passer dans votre esprit l'image d'un des athlètes les plus élégants de l'histoire du cyclisme, redite-le lentement. Un M-O-S-E-R. Toujours rien? Laissez faire. Vous chercherez sur Google plus tard. Ou non, ne cherchez pas sur Google, vous tomberiez sur un bike cheap d'aujourd'hui, parce que la marque -comme bien d'autres- a très mal vieilli. Mais le Moser sur lequel je suis tombé en sortant du métro Mont-Royal fait partie de la dernière génération de belles bêtes qu'a engendrée la marque. Il était là, beau et désirable, accroché à un des poteaux à bécik de la ville de Montréal. En plus, le beau Moser que je voyais était paré d'un cosmétique assez distinctif : le chromovelato. Ça, c'est le bling italien ultime des années pré-carbone et même pré-alu.Dommage que j'aie spotté ce bike en soirée, les photos auraient percé le jpeg tellement le fini chromovelato est étincelant. Je me rappelle avoir vu des Pinarello, des Willier, des De Rosa, des Colnago et -bien sûr- des Marinoni avec ce mix de chrome et de peintre que seuls les meilleurs fabricants offraient (ou s'offraient). En plus mon Moser était équipé des manettes de freins Modolo Orion Aero -une version downgradée des très beaux mais 100% inefficaces Kronos. Dans l'histoire moderne du cyclisme, je crois qu'il n'y a eu que les freins Delta de Campagnolo et peut-être les AX de Shimano qui freinaient aussi mal. En soi, c'est notable. Une belle potence gravée (une 3ttt) ajoutait au faste du petit frameset que j'avais devant les yeux. J'en arrivais presqu'à oublier qu'il était monté en Victory. J'ai toujours eu un faible pour le bling italien et l'amour rend aveugle.
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2- Rossin SSC "éternel"
Un peu comme un spécialiste de la vie aquatique dans l'estuaire du St-Laurent qui s'extasie de voir réapparaitre année après année un belluga spécial qu'il a spottée en raison de ses nageoires étonnamment puissantes, je me sens rassurer de constater que depuis deux bonnes saisons, l'amène climat de Montréal permet à un si beau et rare spécimen de vélo de continuer son existence. Parce que, attention, ici il est question d'un Rossin en Columbus SL. C'était rare, ce l'est encore plus aujourd'hui. La marque était au zénith a la fin des années 80 avec des succès pro et "amateurs", comme le record de l'heure d'Ekimov qui a été accompli sur un des cadres les plus spectaculaires de son époque. C'est longtemps avant que le russe ne deviennent Eki, un fidèle lieutenant de Lance.Au Québec la distribution des Rossin était un peu échevelée. Les SLX venaient de chez Marinoni tandis que les SL passaient par chez Hutsebaut. Avec ce genre de réseau de distribution, no wonder que la marque ait sombré dans l'oubli malgré des qualités esthétiques et techniques indéniables. En plus, les experts auront remarqué que ce cadre déjà rare est monté en Mavic SSC. Dans mon livre à moi, le SSC représente le summum du design français en termes de cyclisme. Je dis français pour simplifier parce qu'en réalité les freins étaient fournis par les italiens de Modolo et une rumeur veut que ce soit d'autres italiens, ceux d'Ofmega, qui auraient produit les manivelles de pédaliers.
Quoi qu'il en soit, les pièces de résistance étaient ailleurs: les roulements étaient un siècle en avance sur leur époque et le dérailleur arrière était tout simplement hors du temps. Ah oui, quand Criquelion s'est sacré dans la balustrade en essayant de passer Steve Bauer dans un espace où ça passait pas au championnat du monde 1988, ben il était en Mavic SSC, mais il n'était plus en Rossin. Hitachi roulait sur Rossin en 87, mais déjà plus en 88. Une chance, parce qu'un Rossin en Mavic SSC, je suis fan. Mais je suis encore plus un fan de Steve.
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4- Beau petit Concorde sans passé
Dans mon esprit, un vélo Concorde c'est un bike de pro en Columbus SLX ou TSX monté en Campagnolo, comme ceux de l'équipe PDM en 1988 et 1989, ceux qu'utilisaient Rooks et Theunisse. Rappellons ces deux chaudrons notoires grimpaient les cols du Tour à une vitesse jusqu'alors jamais vue en cette époque pré-EPO. Plus tard un Sean Kelly vieillissant s'est joint à l'équipe et Delgado y était passé avant. C'est dire si l'aura de la marque rayonnait haut à l'époque.Mais la marque originaire des Pays-Bas avait un je ne sais quoi de factice. Un petit quelque chose de "trop neuf" pour être vraie. En fait, elle n'avait pas de passé mythique à faire valoir puisqu'elle n'était qu'un simple projet d'investisseurs qui voulaient faire de l'argent. Un fabricant de vélo qui voulait faire de l'argent ? Tout simplement? Tout vulgairement? Mettons qu'on est loin de la tradition et de la mystique italienne! En fait, les managers de Concorde trouvaient des usines pour fabriquer leurs cadres et les mettaient ensuite en marché. Ce n'est que pour aider à surmonter leur déficit de maestria et d'histoire qui diminuaient la valeur de la marque que les noms de certains fabricants mercenaires de renoms ont été rattachés à la marque. Compte tenu des méthodes commerciales retenues par Concorde, certains diraient que la marque a été à l'avant-garde de ce qui se fait depuis une quinzaine d'années dans le monde du vélo. Ils auraient d'ailleurs raison.
Dans ces conditions que dire de ce petit vélo en aluminium monté en Shimano 105 qui étaient encore en bon état quand je l'ai croisé? Impossible de dire avec quel alu les tubes ont été faits. On ne sait rien de l'usine qui l'a créé non plus. Il est jaune, il a une fourche chromée en acier, probablement du chromoly et l'ensemble potence/guidon est du Cinelli. Comme il est monté en Shimano 105 -1055- et que ces pièces ont été offertes durant une décennie, il est difficile d'offrir plus de précision. Ah oui, une note au sujet de l'ergonomie de l'utilisateur: on peut croire que ce vélo est trop grand pour la personne qui l'utilise. À preuve, la sortie de la selle déjà rikiki est atténuée par la selle qui pointe résolument trop au sud. D'ailleurs, la situation est commune avec les vélos que je croise dans la rue. Étrange.
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5- Bertrand from the 80's
Dans Voyeurisme particulier I, je présentais un autre Bertrand croisés sur la rue que je trouvais particulièrement élégant. Il était beau, mais il n'avait pas l'allure d'un "vrai" Bertrand de années 80. Je sais, je chipote. C'est comme ça. Celui-ci a le vrai cosmétique de la fin des années 80. Encore aujourd'hui ce vélo me semble assez distinctif. Par exemple, on reconnait le beau travail de finition pour les raccords -qui sont eux-mêmes plutôt élégants. On reconnait aussi le choix de couleurs complètement eighties représentatif de ce qui sortait de l'atelier Bertrand. Même sans aucune section chromée le cadre a quelque chose de riche et réussi. Surtout, comment passer à côté de typo utilisée pour écrire le nom de la marque? Alors que de toute éternité la plupart des vrais artisans de renom optaient pour des polices à empattements, synonymes de sérieux, de stabilité et d'historicité, Bertrand a plutôt opté pour la modernité en utilisant une police très arrondie complètement différente. Le logo résolument conceptuel qui se trouve sur le headtube amplifie la rupture avec la tradition artisanale. Après tout, les bikes étaient supposés être dessinés "à l'ordinateur". Mais est-ce que ce look a bien vieillit? À vous de juger! Si j'étais une personne cruelle, je dirais que la typo et le logo ressemblent à ce qu'utilisaient des marques commerciales comme Miele. Je sais, ce serait vraiment méchant.En revenant au petit bike que j'ai pris en photo en marchant sur la rue, les puristes devront "enlever des points" au propriétaire actuel pour le dérailleur arrière: encore une fois le Chorus a été remplacé par un Shimano. Bien que l'organe greffé soit un Dura Ace de la même époque, il s'agit d'une faute de goût.
Il y a aussi deux autres affaires qui (me) dérangent sur ce vélo. D'abord le guidon, qui n'a rien de classique, qui est laid et qui est anti-ergonomique -inventons l'expression si elle n'existe pas déjà. Et puis la hauteur de la selle ne va pas du tout. Nul besoin d'être un membre en règle des Velominati pour le savoir: sur un vélo de route, le guidon doit toujours être plus bas que la selle (voir la règle #44). Non mais c'est à y perdre son latin, c'est quoi la mode des sorties de selle inexistantes?
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6- Marinoni arboricol
Ce Leggero était attaché à un arbre juste en face du théâtre de la Licorne quand je me suis adonné à passer par là par une belle soirée d'été. J'ai trouvé ça rigolo que son propriétaire choisisse un arbre pour protéger ce beau El OS tout en campy. Au moins l'écorce n'a pas dû trop attaquer la peinture.
J'ai flashé instantanément sur la grosse potence Mutante de 3ttt. C'était du matériel féroce et il a bien vieilli. En y regardant de plus près j'ai remarqué le headtube allongé qui permettait d'avoir un tube horizontal abaissé. Le proprio d'origine a eu droit à du sur mesures. On n'était pas loin d'une géométrie compact avec ce genre de tube abaissé, c'était rusé et les cyclistes qui avaient de longues jambes appréciaient l'impression de maniabilité qu'un tel cadre procurait. Évidemment, les nains de jardin -comme moi- ont dû attendre que les vrais géométries compacts se généralisent pour accéder à ce bonheur.
Une dernière chose : ce vélo a servi en course, c'est certain. Comment le savoir? Regardez sur le tube horizontal. Tout près du headtube, il y a un braze pour une plaque de cadre. Ce cadre a dû faire de belles courses en plus parce qu'à l'époque ce n'était pas pour faire un crit du mercredi soir qu'on avait besoin d'un braze de plaque de cadre.
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7- Marinoni SL "Performance"
Mon coeur s'est arrêté un instant quand suis tombé nez à nez avec ce Marinoni. C'est que j'en ai déjà eu un presque pareil et je regrette encore de l'avoir vendu en 1992 (pour payer tout une pile de comptes en souffrance). Au premier coup d'oeil il ressemble à tous les autres Marinoni, mais quand on y regarde de plus prêt, on remarque que son premier propriétaire (qui du reste pourrait bien être le propriétaire actuel) s'est payé la traite plus que le fabricant ne le proposait. On a d'abord un véritable cadre en Columbus SL, pas un tre-tubi. Le raccord du tube de selle est microfusion en plus, ce n'était pas toujours le cas. Ensuite le triangle arrière est entièrement chromé (extra 125$). La fourche aussi l'est (extra 50$). Le câble de frein arrière est interne (extra 50$) et il y a un petit pump peg sur le headtube (extra 15$). Dans quelle proportion ces petits extras influenceraient-ils le prix de ce cadre vintage aujourd'hui?L'ensemble du gruppo Chorus première génération à friction était encore installé et semblait être aussi neuf que le jour où il a été monté sur le cadre par Cycles Performance - la présence des décalques de cette légendaire boutique en témoigne. C'est drôle, j'ai vu ce vélo à 3 coins de rue d'où se trouvait la première adresse de Performance. Peut-être qu'il n'est jamais sorti du quartier?
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8- Gardin Carrera
À bien y penser, un Gardin n'a vraiment pas sa place dans une chronique consacrée aux beaux vélos des années 80-90. Après tout, les Gardin ne se distinguaient ni par leur finition, ni par l'histoire de la marque, ni par la qualité de leur assemblage. L'aspect résolument aléatoire de leurs specs étaient d'ailleurs une caractéristiques incontournables des Gardin. À chaque boîte qu'on ouvrait c'était la surprise. Tiens, une potence noire: d'habitudes sont grises me semble. Tiens, c'est quoi cette tige de selle? Tiens, Iscaselle a encore des modèles que je connais pas? Tiens, pourquoi du tape fluo sur un bike qui est déjà 4 couleurs? Parfois les problèmes étaient pas mal plus graves, comme l'utilisation de freins Weinmann, doté d'un ressort d'une médiocrité jamais vue depuis, avec des manettes de freins aéro Dia-Comp qui se coinçaient dans le caoutchouc des covers: sur un vélo comme ça on pouvait freiner une fois, UNE SEULE FOIS, ensuite il fallait mettre pied à terre et décoincer les freins à bras.Le vélo sur la photo est certainement l'évolution sauvage et ultime du délire des specs étranges de Gardin. Il s'agit d'un Carrera du milieu des années 80. Il se vendait environ 850$ si le client ne négociait pas trop. Les specs d'origine rassemblaient probablement tout ce qu'il y avait de mauvais sur le marché, mais il y avait toujours des dérailleurs Campy dans la boîte. Des 990, mais du Campy quand même.
Le Carrera que j'ai pris en photo ne permet même plus d'imaginer à quoi il pouvait bien ressembler sa belle époque. Mais si vous êtes curieux, j'en ai trouvé un sur Pinkbike qui avait encore son allure d'origine.
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Extrêmement intéressant et bidonnant! Une perspective unique et originale! Bravo le nain!
RépondreSupprimerPratique d'être un nain quand vient le temps de voir les choses différemment. C'est quand on veut les voir comme tout le monde que ça se complique ;-)
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