Vers Sa Calobra


- "Ok, pas de sport violent", qu'il a dit
-  Moi de lui répondre : et du vélo, c'est un sport violent?
- "Eumm, pas si tu tombes pas. Faudra que tu vois avec la douleur"

Cette discussion a eu lieu entre mon chirurgien orthopédiste et moi en matinée, le 23 août dernier. "Pas si tu tombes pas", la double négative la plus positive que j'avais entendue de toute mon existence. Après un court appel à mon boss pour l'informer que je m'en allais "voir avec la douleur" et une petite heure après le verdict du doc, j'étais sur la route pour une sortie de 80 km. J'avais le droit de rouler, j'allais finalement faire du vélo en 2016.

Oui, j'avais roulé avant de me faire frapper par une auto le 14 juin, mais ça comptait presque pas. Pour une fois, pour la première fois dans ma vie de cycliste, je suis arrivé au printemps pas tout à fait en forme. J'avais été assez rigoureux durant l'entrainement hivernal, mais j'en avais gardé sous la pédale, je m'étais dosé, histoire de ne pas être mort ou dégoûté de la vie rendu en août. En garder sous la pédale, c'est pourtant pas trop ma nature. Commence fort, donne tout, survis-et/ou-agonise, c'est plus mon genre. Mais pas cette année, cette fois je m'étais plutôt économisé. Belle décision, super timing.

J'ai ruminé cette décision comme une vache édentée durant presque 4 semaines alors que j'étais transformé en invertébré sur mon divan. Si vous suivez la chronologie du récit avec attention vous vous dites "hey gros, astie d'raisin, criss de cycloteux, du 14 juin au 23 août, ça fait ben plus que 4 semaines". J'aime imaginer que votre voix intérieure ne tient pas de tels propos dignes d'un fan de L'heure juste du camionneur, un troupeau de brutes dangereuses et mal engueulées avec lesquels nous sommes forcés de partager les routes du Québec. Enfin, je m'égare (quoique si vous êtes curieux, allez voir leur groupe facebook, il y a de quoi s'égarer). Anyways, tout ça pour dire que 4 semaines après l'impact, mon chirurgien-ramancheur m'a donné la permission de tenter de faire du spinning. "Mais tu pédales dans un gym là, pas dehors, m'a-t-il ordonné avant de préciser, t'es pas consolidé".

Je suis donc retourné au gym. J'ai pu constater que c'était l'fun d'aller au gym durant les chaudes journées de juillet alors que tout le monde joue dehors. La place était calme. Le misanthrope qui réside au fond de mon coeur appréciait. Il n'y avait personne pour assister à mes prestations. Si j'arrivais à peu près à atteindre le guidon avec mon bras gauche, j'avais toute la cage thoracique qui se déchirait du moment que l'effort gagnait en intensité. Autre sensation agréable à gérer : dès que je me levais sur les pédales, mon bras gauche donnait l'impression de se détacher de mon corps. Et puis chaque séance donnait lieu à une effusion de sueur complètement disgracieuse. Valait mieux ne pas me donner en spectacle devant un trop vaste public.

Voir avec la douleur. Les orthopédistes sont souvent des personnes de peu de mots, mais ils ne parlent pas pour rien. J'étais en train de découvrir un nouveau sens au concept déjà exigeant de "Sufferfest". Mais il y avait pire encore que la douleur physique: je ne savais pas si j'allais guérir assez vite pour profiter des routes de l'automne. L'art pour l'art n'a jamais été mon fort : j'avais pourtant l'impression d'être un parnassien entêté.

Le 23 août le doc l'a confirmé, je guérissais bien. À nouveau la vie était bonne pour moi. Une fois de retour sur la route le soleil de septembre a revivifié mes petits muscles atrophiés. Les sorties que je faisais s'apparentaient encore à de l'art pour l'art, mais au moins chaque instant avait une nouvelle fraîcheur et je roulais en plein bonheur. Ça allait très bien et c'est parfois dans ces moments de plénitude qu'on a le plus besoin d'avoir des copains dotés de bons plans.

Cette fois c'est François et Simon qui parlaient de se payer un petit party de belles routes pour la fin de la saison. Majorque. "Prépare-toi, roule, fais pas de folie, toute va être correct": je n'avais pas besoin que mon chirurgien me le dise, sui generis, ça résonnait déjà à pleine puissance dans ma conscience. Je ne voyais plus avec la douleur, trop de routes vertigineuses et de paysages méditerranéens m'attendaient. Et je n'ai pas été déçu.

Maintenant de retour au Québec depuis une semaine, je repense aux routes de Majorque et aux moments passés avec les copains-copines avec lesquels j'ai eu le bonheur de les découvrir. Que du bonheur. Que du plaisir. Pas de doute, toutes les images fraichement ajoutées à ma base de données mentale m'aideront à préparer le prochain été. Qui sait, peut-être que j'en garderai encore un peu sous la pédale en vue d'avoir à nouveau une bonne fin de saison ?




Quelque part à l'ouest d'Alcudia
Col de Sa Batalla
Depuis Cap Formentor
Soller, juste avant de faire Puig Major
Sa Calobra








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